Cela fait environ dix-huit mois que je songe à ce billet. Que je me dis "peut-être que ce serait bien, maintenant, d'assumer ce que tu es, vraiment"... Il semble que ce jour soit venu.

A ce moment-là, je pensais davantage à un aspect de vocation. Après tout, n'avais-je pas tout lâché pour me consacrer à cet appel de Dieu, auquel je pensais répondre, enfin ? J'avais préparé mon départ, affronté l'inconnu, pris la décision tant bien que mal. Pour une fois, c'est moi qui décidais, qui avais toutes les clés en main. Dans le même semestre, j'avais monté à la fois un dossier de reconversion, pour quitter mon entreprise, et un dossier pour l'Église[1], faisant officiellement candidature en vue d'un ministère pastoral. Après quelques semaines de stress, les deux dossiers étaient validés, le tournant était pris, le risque avec : celui de quitter un emploi stable, correctement payé, dans une entreprise que je connaissais depuis presque quinze ans, pour partir faire de la théologie à plein temps, et devenir peut-être pasteur un jour.

Je commençais doucement à me faire à cette idée de vocation. J'avais passé outre une dissertation de licence de quinze pages et la soutenance associée, j'avais validé ma licence en théologie sur le fil, et obtenu de passer en première année de master, quelques jours avant la reprise des cours. Je faisais enfin de la théologie à plein temps, après huit ans d'études à distance, le soir, le week-end, les vacances. Je pouvais discuter à chaque pause avec les autres étudiant•e•s, me rendre compte que nous étions à la fois uniques et semblables, que le syndrome de l'imposteur était présent pour beaucoup... Peu à peu, je me sentais à ma place, je sentais que je répondais à un appel.

Et pourtant... Pourtant, ce n'était que le début d'un bouleversement. Alors que j'avais l'impression de me tourner enfin vers mon appel, je sentais que j'avais passé le plus difficile : lâcher prise. Ne plus essayer de contrôler ma vie, ne plus chercher à en maîtriser tous les aspects, famille, boulot, études, réunions... J'avais accepté de laisser venir les choses, les vivre davantage que les anticiper, en sentir les moments-clés, appendre à les analyser, écouter, accueillir, y répondre parfois. Ce qui devait arriver arriva : je me suis révélé à moi-même.

J'ai pris conscience que je suis un homme transgenre.

Un QUOI ?

Un homme, d'abord. Parce que j'ai toujours pensé au masculin. Parce que je me vois, me perçois, me figure, m'identifie comme un garçon, un homme, un mec... La plupart de mes modèles sont masculins, même si cela ne valide absolument pas un genre, comme me le faisait remarquer une amie. J'avais huit ans peut-être, quand j'ai demandé à ma mère quel aurait été mon prénom de garçon. Suite à ce jour, je me le suis approprié. C'est tout naturellement qu'il est devenu le mien, et que je l'ai annoncé à mes amis lorsque j'ai pris conscience de moi, il y a dix-huit mois.

Et je suis une personne transgenre : mon apparence physique ne correspond pas à mon genre psychique. À la naissance, j'avais des organes génitaux féminins, on m'a assigné de sexe féminin (en anglais on dit "assigned female at birth", ou AFAB en raccourci).

J'avais beaucoup hésité, il y a plusieurs années, avant de mettre ce texte en ligne. Et pourtant, c'est bien moi, c'est ce que j'ai réellement ressenti et vécu. À l'époque, la puberté prenait place, j'avais refoulé mon identité, je m'étais dit "il faut que je devienne une fille". J'ai essayé. Pendant vingt-quatre ans, j'ai tenté de devenir ce qu'on supposait de moi, ce que l'école, la société attendaient de moi... J'ai essayé de me conformer, je me disais que puisque toutes les autres personnes autour de moi parlaient du bonheur, c'est que ça devait bien finir par fonctionner, un jour ou l'autre, ça finirait par m'arriver, à moi aussi !

Quand j'ai commencé à écrire sur ce blog, c'était un peu un test. Je voulais voir, en prenant un pseudo neutre et inconnu, sans connotation, totalement inventé, et en écrivant au neutre, comment les lectrices et lecteurs allaient me considérer, quel genre iels allaient me donner, s'iels m'en donnaient un. Je n'ai jamais affirmé ou démenti les personnes qui me répondaient dans un genre ou l'autre. Aujourd'hui, je pense que cet essai était aussi une façon inconsciente de m'affranchir du genre "visible" qui m'oppressait de plus en plus.

Et ma vocation, alors ? Elle est toujours là. Maintenant plus que jamais, peut-être. J'aimerais dire qu'elle a pris un rude coup l'an dernier, mais ce ne serait même pas vrai. J'ai été en colère contre Dieu, ça oui. Je lui ai hurlé, pendant plusieurs mois : quoi, ça n'était donc pas assez, de lâcher prise pour entendre enfin cet appel dont il me rebattait les oreilles depuis des années ?!? Qu'est-ce qu'il fallait de plus ?! Je n'ai pas demandé à être "le premier" en quelque chose ! Surtout pas le premier pasteur trans en France... Ca n'a pas entamé pour autant cette espèce de sérénité qui s'installait, qui me laissait comprendre, enfin, que ma place est en Église. Dans quelle fonction ? L'avenir le dira...

Le 31 mars, c'était la journée internationale de visibilité transgenre : une journée pour dire que nous existons, que nous ne sommes pas des monstres, justes des êtres qui avons du mal à nous trouver nous-mêmes, parce que nous ne rentrons pas dans les cases habituelles de la société. Des personnes qui avons appris à identifier ce qui, pour la grande majorité de la population, ne pose pas question. Pour moi, aujourd'hui, c'est pouvoir dire qui je suis. J'ai la chance d'avoir rencontré peu de résistance lors de mes coming out, que ce soit auprès de mes ami⋅e⋅s, ma famille, ainsi que les facultés de théologie où je suis pleinement accepté et soutenu par les professeurs et les responsables d'enseignement. Bien sûr, il y a des questions. Bien sûr, certaines personnes ne comprennent pas, sont heurtées, et c'est douloureux, pour elles autant que pour moi. Pour beaucoup d'autres, c'est surtout une occasion de se laisser surprendre, d'opter pour un nouveau point de vue, d'entendre un son qui est moins dissonant qu'il n'y paraît.

Je veux croire que j'ai ma place dans cette Création, dans ce monde. Dans le premier chapitre de la Genèse, on parle du jour et de la nuit. On ne parle pas de l'aube et du crépuscule, qui ne durent que quelques minutes dans les vingt-quatre heures d'un cycle quotidien ; pourtant c'est dans ces minutes qu'on voit passer des lumières extraordinaires : une boule rosée ou rouge au lever, ou des couchers de soleil flamboyants... Le même chapitre de la Genèse parle de l'humain à l'image de Dieu : "homme et femme il les créa" ; on ne parle pas des variations, et pourtant elles existent (si vous avez un doute, et/ou si vous pensez que les personnes transgenres ne sont pas crédibles, cherchez "personne intersexe" dans votre moteur de recherche favori).

Sans doute qu'il était temps... de "voir ce qu'il est bon de faire sous le ciel" !

Note

[1] Dans ce billet, lorsque je parle de «l'Église», sans autre précision, il s'agit de l'Église Protestante Unie de France, n'en déplaise à nos amis catholiques.