mercredi 17 août 2011

Se laisser transformer par Dieu

Voici venu le moment de terminer l'icône. Comme à chaque étape, chacune des dernières touches que l'on va apporter porte son lot de symboles.

Les auréoles prennent leur couleur or définitive, symbole de la sainteté, lumière émise par ceux qui nous montrent le chemin vers Dieu. Encore une fois, ce n'est qu'une technique simple, j'ai utilisé de la gouache dorée. La technique à la feuille d'or, bien plus complexe, se fait différemment et parfois avant même de poser les ténèbres.

Puis tous les cadres (tour de l'icône, voire tour intérieur, auréoles) seront soulignés avec un liséré vermillon pur (rouge), toujours avec la symbolique du sang qui donne la vie. Et dans l'auréole du Christ, on tracera les signes qui lui sont propres : les trois branches de la croix, et les lettres grecques omicron - oméga - nu (οων), signifiant "celui qui est".

Les bâtons des anges, et les marques et noms des personnages sont également indiqués en rouge pur. L'iconographe donne ainsi vie aux différents saints ou modèles représentés sur l'icône. Chaque trait me fait penser aux veines du corps : si la planche était l'ossature, recouverte de la lumière dans laquelle Dieu nous a créés, les différentes couches de couleurs [1] forment la chair, et ces dernières lignes rouges sont les veines transportant la Vie !

Pour terminer, les dernières touches sont en blanc pur, signe de la lumière que nous avons reçue et que nous pouvons, que nous avons la mission de transmettre à tous ! Elles apparaissent sur les parties les plus claires des carnations : mains, pieds, visage, cou... En particulier, sur le cou, le blanc représente le souffle de l'Esprit, la force de la Parole de Dieu. Notre animatrice iconographe nous disait "C'est pour ça que souvent le Christ est représenté avec un cou de taureau !"...

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Et l'icône prend vie avec deux dernières touches : le blanc des yeux, toujours posé d'un seul côté de la pupille. L'icône est terminée lorsqu'elle regarde celui qui la regarde. Je dois toujours prendre un long temps de prière avant cette ultime étape, car toute l'orientation donnée à l'icône précédemment peut changer avec le regard donné à cet instant. Il peut être doux, un peu fuyant, dur, en échange[2]...

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Une fois terminée, l'icône est nommée au dos, toujours à l'encre rouge, pour prolonger le don symbolique de la vie par le nom.

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Et un moment très fort, pour l'iconographe comme pour le destinataire : lorsque celui-ci découvre pour la première fois "son" icône...

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... même à six mois, ça fait forte impression ! :)

Et bien sûr, la prière de l'iconographe ne s'arrête pas là... "Tu es responsable de ta rose" disait Saint-Exupéry dans le Petit Prince. J'ai écrit suffisamment peu d'icônes pour me souvenir de chaque, et continuer à prier pour chaque personne à qui je les ai offertes. Même si le souvenir s'efface, c'est un peu comme un fil, un lien particulier, une union de prière inaltérable qui m'unit à ceux qui les reçoivent...

Notes

[1] et chacune est importante, de la plus sombre à la plus claire !

[2] en particulier sur une Vierge à l'Enfant ou une scène biblique

lundi 11 juillet 2011

Monter les lumières

Voilà quelque temps que nous avions laissé notre icône bien sombre... Il est temps de remédier à cela !

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Puisque nous nous sommes éloignés de Dieu, avec les ténèbres, et que nous continuons à prier, il est temps de revenir vers lui. Tel le fils prodigue, qui vient demander pardon et sera revêtu d'habits somptueux ; ou plus prosaïquement, tel le fidèle qui vient demander le sacrement de réconciliation et se relève de nouveau revêtu de l'Esprit Saint, l'icône va recevoir de nouvelles couleurs, plus claires, qui vont peu à peu dessiner les différents détails du personnage ou de la scène représentée.

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Techniquement, c'est l'étape qui prend le plus de temps : après avoir redessiné en rouge les traits[1], l'iconographe applique successivement plusieurs couches de couleurs, d'abord la couleur de base choisie pour chaque vêtement, et de l'ocre jaune pour les parties chair, puis des couleurs de plus en plus claires, en ajoutant régulièrement du blanc. C'est aussi le moment où l'on ajoute les décors et la couleur de fond, quand elle n'est pas dorée. Le relief va ainsi apparaître, les détails prendre forme.

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C'est le symbole du retour vers Dieu, et du travail que fait Dieu en chacun, de la création du Père toujours à l’œuvre dans ceux qui l'acceptent en eux-mêmes. C'est la lumière de la création originelle, de notre nature divine, créée par Dieu à son image, qui transparaît dans chaque pépite de nos vies : un sourire, un geste d'amour, un service, une prière, un chant... Et bien sûr, c'est le grand mystère pascal que nous sommes invités à revivre : Jésus, mort pour nous, dans les ténèbres pendant trois jours, s'est relevé !

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Dans la prière, autant l'étape précédente était difficile, prenante, presque angoissante, autant cette montée des lumières me procure un véritable enthousiasme. La grâce est presque palpable, la concentration est à son comble... C'est l'étape la plus longue, mais où le temps n'a plus la même valeur... A chaque coup de pinceau c'est un peu de Dieu que l'on fait rejaillir, par delà tout ce qu'on l'on a pu faire de difficile, peu reluisant ; à chaque touche de couleur c'est un peu d'amour que l'on donne au destinataire de l'icône. Il n'est pas rare que je me relève au bout de plusieurs heures, le poignet et la nuque ankylosés, mais avec au cœur la joie que peut prodiguer cette montée.

L'icône prend forme, prend corps... Mais ce n'est pas fini...

Notes

[1] Dans la technique traditionnelle, l'icône est engravée, le dessin perdure donc même pendant les ténèbres

vendredi 17 juin 2011

Poser les ténèbres

La pose des ténèbres est, dans l'écriture d'une icône, l'étape qui m'est la plus difficile. Ce n'est pas physique, ni artistique, car techniquement il ne s'agit que de poser de grands aplats de couleur. Non, c'est symbolique, spirituel[1]... et peut-être un peu d'orgueil, aussi.

La technique ? Utiliser pour chaque partie des différents personnages de l'icône sa couleur de base (par exemple, le blanc pour la tunique de l'archange), et y ajouter systématiquement une pointe de noir. Ce qui donne des teintes foncées, avec lesquelles on va recouvrir toutes les zones de cette couleur, sans tenir compte du dessin. Et pour les chairs (mains, pieds, visages), prendre une couleur de terre. Il faut tout gommer, tous les traits, pour ne laisser qu'un très vague aperçu du ou des personnages[2].

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Ces ténèbres sont la symbolique de tous nos refus de Dieu, de tout ce qui dans notre vie nous empêche de le rejoindre, de vivre conformément à l'Evangile. Les ténèbres, c'est lorsqu'Adam et Eve sont chassés du jardin, lorsque les Hébreux ont cédé à la tentation du veau d'or dans le désert, lorsque Marie et Joseph sont refusés dans toutes les auberges, lorsque le paralytique ne peut pas arriver jusqu'à Jésus... Mais c'est aussi chaque fois que je vais m'énerver contre mon conjoint, mon voisin ou mon collègue qui fait trop de bruit, que je ne vais pas chercher la meilleure façon de résoudre un problème mais seulement la plus rapide, que je ne vais pas aller à la messe / au culte pour diverses raisons... Et encore quand les accidents de la vie vont me toucher : maladie, décès, chômage, handicap, ...

En pratique, c'est toujours dur, car on s'est appliqué à préparer l'esquisse, du mieux possible. Et les couleurs sombres viennent gâcher, effacer les traits. Tout devient informe et on ne reconnaît qu'à peine le dessin d'origine. Un peu comme si ce n'était pas nous, pas vraiment, à peine reconnaissables sous nos attitudes, qui ressemblent si peu aux enfants de Dieu que nous pouvons, que nous devons être !

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Prier à ce moment difficile, ce n'est pas prier pour une vie utopique, un monde de bisounours où tout irait toujours bien. Nous savons que ça n'existe pas, en tout cas pas sur Terre. Non, c'est prier pour que Dieu soit toujours présent avec chacun, et que le destinataire ne perde pas pied lors des inévitables épreuves qu'il rencontrera ou a rencontré. C'est prier pour savoir écouter dans ces moments là, être présent, accompagner la personne qui en a besoin ; parce qu'une simple présence peut faire beaucoup.

Notes

[1] oserais-je dire mystique ?

[2] Les décors et les fonds ne reçoivent généralement pas de ténèbres et sont représentés directement dans leur couleur définitive

mardi 31 mai 2011

Dessiner

Une fois le support préparé, la planche enduite de la couche blanche représentant l'origine divine de notre nature, il devient possible de tracer l'esquisse de la scène ou du personnage que l'on va créer.

Ce dessin va être tracé en rouge, couleur du sang. Pourquoi le sang ? Car il donne la vie, il est le fluide vital par excellence : n'importe quelle personne ayant donné son sang sait qu'il s'agit d'un produit irremplaçable, impossible à synthétiser artificiellement, même avec toutes les techniques médicales les plus pointues. Le bébé dans le ventre de sa mère est nourri et oxygéné par le sang maternel...

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D'ailleurs, le sang a une place particulière dans la symbolique juive, suivant les textes que l'on retrouve dans la Genèse et le Lévitique. Et c'est de façon très logique qu'on retrouve ce symbole très encadré dans la cacherout (כשרות), les règles régissant ce qui est pur ou non[1]. Le sang, signe de vie, ne doit pas être ingéré : aussi, tous les animaux destinés à l'alimentation doivent être saignés, de la façon la plus rapide et complète possible.

L'iconographie reprend le symbole, en ajoutant sur le squelette blanc, inerte, le dessin rouge, donnant la première impression de vie. Pour l'iconographe, c'est comme une esquisse pour un dessinateur : on voit le personnage prendre sa place dans la planche, on imagine les différents aplats de couleur, les mises en valeur qu'on pourra faire. C'est à ce moment que le futur personnage ou la scène prend réellement vie sous le crayon ou la poudre rouge. On le voit naître. Et je dirais que la prière personnelle peut alors réellement commencer. Suite à ma première icône, je me souviens avoir écrit à l'animatrice de la session, à propos de cette étape du dessin : "Là ça devenait sérieux. Jusqu'alors, je badigeonnais, avec mon gros pinceau, en blanc sur la planche. Mais là, j'entrais en prière."

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C'est beau, parce qu'à cet instant l'icône est comme un tout petit enfant : on a une idée de ce qu'on aimerait qu'elle devienne, mais on n'en voit que l'esquisse. Comme un enfant, elle va grandir, évoluer, passer différentes épreuves et embellissements... Cela donne un ton particulièrement juste à la prière, quand l'icône est destinée justement à un bébé ou un enfant[2]. J'aime, alors, confier à Dieu tous les espoirs que j'ai pour le destinataire. Ma relation avec cette personne, quelle qu'elle soit, va s'enrichir peu à peu de tout ce chemin spirituel, à mesure que l'icône se dévoile.

N.B. : toutes mes excuses pour la piètre qualité des photos, mais il est difficile de prendre clairement une esquisse, par essence peu accentuée...

Notes

[1] les plus connues sont celles concernant l'alimentation, mais il en existe d'autres

[2] Comme cadeau de baptême, par exemple... ;)

dimanche 22 mai 2011

Le support (suite)

Il s'avère que je n'ai pas terminé de décrire la première étape... (un simple oubli, je vous assure !)

Sur la planche, avant de pouvoir dessiner, il faut préparer une couche permettant d'accueillir la figure qui sera représentée. Sur une planche de contreplaqué telle que celle que j'utilise, deux couches de gouache blanche un peu épaisse suffisent. Ainsi, la planche préparée, représente notre être tel que Dieu nous crée, immaculés, prêts à le recevoir.

Et pendant que la couche blanche sèche, on peut reproduire sur un calque le modèle que l'on a choisi.

Planche et calque

Si l'on connaît les canons iconographiques, et les différentes règles symboliques, on peut créer son propre modèle, mais il est difficile d'obtenir quelque chose d'harmonieux et correspondant aux canons. Je ne l'ai fait qu'une fois, et à ce moment-là, la recherche du trait et des harmonies dans la scène reproduite se fait toujours dans la prière, et avec du temps. La main se nourrit peu à peu de la prière, des recherches sur le sujet, des autres modèles sur lesquels on a médité...

dimanche 15 mai 2011

Le support

Comme je l'ai dit précédemment, écrire une icône est une démarche de prière, et tout dans cette démarche est symbole.

La première étape dans la prière de l'icône est de constituer le support de l'image qui va être représentée. Une icône ne s'écrit pas sur un bout de papier ou sur une simple toile, par exemple. On peut en trouver, de façon rare, sur des galets (mais il me semble qu'alors la technique utilisée s'apparente plus à celles des fresques, que je ne connais pas du tout).

Le support doit être adapté : la forme, la taille doivent correspondre à l'esquisse ou au modèle qui sera pris, pas question de prendre un petit format (A5, par exemple) pour représenter la Trinité. Cette réflexion paraît basique, mais elle peut parfois s'avérer ardue : un modèle ne "parle" pas forcément de suite à l'iconographe, même s'il a en tête la scène ou le personnage souhaité. Il est alors nécessaire de se poser la question, de travailler l'esquisse si l'on a des connaissances en dessin, de chercher des modèles si ce n'est pas le cas, de laisser l'Esprit travailler pour s'adapter à la future icône.

Je tiens à préciser que les techniques que je vais donner sur ce blog sont des techniques très simples, qui ne correspondent pas aux techniques traditionnelles. En effet, ces dernières nécessitent un matériel très spécifique, des matériaux ne se trouvant qu'en boutiques spécialisées, ainsi qu'un grand temps de préparation, ce qui les rend peu accessibles à l'iconographe très amateur que je suis.

Support

J'utilise pour ma part des matériaux moins nobles mais beaucoup plus accessibles et aisés à travailler : mes icônes sont réalisées à la gouache, sur planche de contreplaqué. L'idée de mes billets est de présenter davantage le chemin spirituel de l'iconographie, car la technique est déjà remarquablement documentée par ailleurs.

L'icône qui va naître peut être vue comme la naissance d'un être. En tant que représentation d'un saint ou d'une scène biblique, elle est recréée en passant par toutes les étapes qui définissent la création d'un individu. Si je le précise, c'est que je vais souvent utiliser des métaphores, des comparaisons qui vont utiliser le vocabulaire du corps...

Ainsi, la planche représente le squelette, l'ossature d'une personne. C'est sur cette planche, base de travail, que tout va se construire. Si elle a un défaut, un noeud, une courbure inhabituelle, il appartient de le gérer dès le départ, de le prendre en compte car cela va influencer toutes les étapes. C'est aussi l'élément le plus solide : sans squelette, nous ne tiendrions pas debout !

Planche

Sur la planche, on va créer le fond, qui servira de support pour le dessin et la mise en couleurs de l'icône. Même si l'aspect technique est beaucoup plus simple que dans la préparation traditionnelle (je passe seulement deux couches de gouache blanche, poncée à chaque fois), le symbole est le même : le blanc immaculé de la planche représente la lumière pure, l'état originel dans lequel Dieu nous a tous créés, chacun d'entre nous.

C'est ensuite que les choses vont changer...

vendredi 25 février 2011

Ecrire une icône

Si de plus en plus de chrétiens ont chez eux des reproductions d'icônes[1], j'ai déjà constaté que peu connaissent réellement la tradition de ces images sacrées. Aussi, si vous le souhaitez, je vous invite à me suivre dans la création d'une nouvelle icône : je tenterai de donner, pas à pas, la symbolique présente à chaque étape.

Vous avez bien lu le titre de ce billet... Une icône ne se peint ou ne se dessine pas, elle s'écrit. Comme on écrit une prière, comme un dialogue avec Dieu, elle se façonne peu à peu, allant à l'encontre des techniques de dessin ou peinture classiques. Il n'est d'ailleurs pas nécessaire d'être artiste pour réaliser une icône.

Une icône n'est que prière. Prière de l'iconographe[2], prière pour et de celui qui la reçoit, prière de celui qui la regarde, prière de la famille, la communauté ou le groupe qui se réunit autour... Lorsque je prépare une icône, elle est pour quelqu'un, pour un destinataire précis, que je vais unir dans ma prière tout au long de la réalisation.

Écrire une icône demande du temps. Comme un enfant ne devient pas adulte instantanément, comme un bourgeon prend le temps de pousser et devenir plante, comme Dieu prend le temps de nous apprivoiser, l'icône se construit. Chaque étape prend de quelques heures à plusieurs jours, selon la taille de l'icône et les techniques utilisées ; vouloir écourter ce temps induit le risque de la perdre.

« Moi, se dit le petit prince, si j’avais cinquante-trois minutes à dépenser, je marcherais tout doucement vers une fontaine... »
Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince

Notes

[1] du grec eikona, image (voir aussi la page "Mini-dico")

[2] le créateur de l'icône, qui tient les pinceaux