vendredi 10 septembre 2010

Rêves à la pelle

Arthur a douze ans. Il aime bien ce chiffre, et il y pense tout particulièrement pendant ces séances d'aumônerie, quand on lui parle des histoires de la Bible. Il le trouve joli, élégant, juste bien : douze ans comme les douze apôtres, comme les douze pierres précieuses sur la poitrine du sanhédrin, comme les douze tribus d'Israël, le peuple élu !

Le brouhaha ambiant le sort de sa rêverie. Les petits groupes se rassemblent. Ils ne sont plus aussi nombreux que l'an dernier, car beaucoup de ses camarades ont cessé de venir après la "grande communion". Il n'a pas trop compris pourquoi. Il se souvient qu'il a été un peu dégoûté quand il voyait la convoitise dans les yeux de certains, se vantant de la montre flambant neuve qu'ils allaient avoir à cette occasion. Il avait bien aimé faire la fête avec sa famille, il était fier de pouvoir dire sa foi en Dieu comme un adulte.

Avant le temps de prière, devant le mur où les petits groupes ont rassemblé le fruit de leur étude d'aujourd'hui, Serge, l'aumônier, parle de la journée des vocations. C'est quoi, une vocation ? S'engager pour Dieu, toute la vie. Devenir prêtre ou sœur. Prêtre... Il ne sait pas trop pourquoi, mais ça parle au cœur d'Arthur. Il a toujours admiré le calme de Serge, la paix qu'il semble diffuser autour de lui, et sa capacité à obtenir le silence de toute cette bande de jeunes excités, sans même hausser le ton. Et puis il y a la messe. Il ne sait pas dire pourquoi ni comment, mais Arthur est bouleversé quand il voit le prêtre élever le pain et le vin. Même quand c'est "Purée de Patate" qui officie, le vieux curé à moitié ivrogne de sa paroisse de campagne.

Serge explique, de sa voix toujours posée, que certains parmi eux seront peut-être appelés par Dieu, et qu'on peut prier pour que "les ouvriers soient nombreux pour la moisson". Arthur ne sait pas trop bien prier, mais il essaie. Il ose à peine penser qu'il aimerait bien devenir prêtre. Cette idée lui paraît terriblement ambitieuse, loin de l'humilité dont on parle dans la Bible, il n'est pas sûr d'être assez doué. Maman serait sans doute fâchée, elle est protestante, et Papa n'apprécierait pas non plus, il aimerait bien que quelqu'un reprenne la ferme, un jour. Arthur rêve : à genoux dans son aube, on lui pose les mains sur la tête. Plus tard, il apprendra que ce geste se fait lors de l'ordination.

Mais voilà : Arthur ne sera jamais prêtre. Il n'existe que dans la tête d'une fille de son âge, qui se demande si c'est très mal d'avoir imaginé, un instant, être un garçon, pour pouvoir entrer au séminaire un jour.