Colère
Par Tigreek le dimanche 10 mai 2009, 23:29 - Témoignage - Lien permanent
J'ai préparé une lettre à l'évêque. C'est la procédure : c'est lui qui peut décider d'ouvrir l'Eucharistie à des non-catholiques, de façon exceptionnelle, selon le droit canon. Pour le baptême de ma fille, je souhaite pouvoir participer à l'Eucharistie, et que les protestants de ma famille puissent le faire également. Alors j'ai préparé ma lettre.
"Ca mérite réflexion. On peut se voir ?", m'a répondu un des prêtres à qui j'ai demandé conseil avant d'envoyer ce courrier. Ainsi donc, un soir, je vais le rencontrer au presbytère. Je lui ai déjà parlé de ma situation d'hybride d'Eglises, en lui disant que je souffrais de ne pas pouvoir participer à l'Eucharistie. Il m'a déjà donné sa position : pour lui, être un mélange, c'est n'être rien, parce qu'on ne peut pas se réclamer de deux identités à la fois.
Effectivement, d'entrée de jeu, il me confirme son point de vue : l'accueil eucharistique n'a aucun lieu d'être, dans le sens où chacun a son Eglise, ses positions, et que l'Eucharistie n'a, selon lui, aucun sens chez les protestants, surtout pas le même que pour les catholiques. S'il était à la place de l'évêque, il refuserait ma demande. Hein, quoi ? Ai-je bien entendu ? Oui. Nous sommes bien en 2009, le concile Vatican II n'a jamais que 45 ans d'existence, et un (jeune) prêtre revient sur l'ouverture entre Eglises...
Je comprends bien que nous sommes dans une époque et une région où les religions, quelles qu'elles soient, sont attaquées. Je comprends que les croyants, en particulier les convertis adultes, aient un besoin d'identité religieuse forte. Je comprends leur crainte : celle que l'Eucharistie soit dévoyée, et que le plus grand mystère de l'Eglise catholique soit mal interprété, perde son sens dans l'ouverture.
Mais qu'à leur tour, ils comprennent mon dilemme ! Qu'ils essaient de prendre la mesure de la conciliation que je propose : non, je ne demande pas à ce qu'on gomme les différences entre les confessions ; non, je ne souhaite pas minimiser l'importance de l'Eucharistie, l'édulcorer en la rendant accessible à des non-catholiques ; mais comment peut-on imaginer faire progresser le dialogue oecuménique, si on n'ouvre pas ses portes aux autres ?
Commentaires
"être un mélange, c'est n'être rien" : conception dramatique de la foi, qui laisse entendre que le "choix" de croire relève d'un raisonnement purement intellectuel plutôt que d'un appel.
C'est à peu près dans la même veine que se situe Pierre Bergé lorsqu'il conseille aux catholiques de changer de religion après les propos de Benoît XVI.
Mais comprenez-vous que pour communier, il y a des conditions fixées par l'Eglise?
Je comprends votre dilemme, mais si en effet pour vous cela n'a pas de sens, à quoi bon?
@Novice : Pour compléter et illustrer mon propos, dans un autre domaine, on ne dira pas à un métis qu'il n'est "rien". Mais il aura le même problème d'intégration : pour un côté, il sera noir (ou arabe, ou asiatique, ou ...) ou en tout cas, "trop foncé" ; pour l'autre, il sera blanc (ou arabe ou ...), ou "trop clair pour être noir"... Et si on acceptait de ne pas mettre des étiquettes sur les gens, ou si on tient à ce qu'ils aient des étiquettes, qu'ils puissent en avoir deux ?
@Le chafouin : Je sais bien qu'il existe des conditions, et je les respecte profondément. Lorsque plusieurs catholiques (y compris des prêtres) me disent "mais en pratique, tu peux communier, personne ne te dira rien", je trouve qu'ils prennent ces conditions à la légère. Je sais que je ne les remplis pas, et que le terrain n'est pas prêt pour que je participe à l'Eucharistie pour le moment.
Je n'ai jamais dit que l'Eucharistie n'avait pas de sens pour moi. Je dis que je connais la différence entre la Sainte Cène et l'Eucharistie, que ces deux sacrements ne sont effectivement pas similaires, et qu'en tant qu'hybride j'ai pleinement conscience de l'importance, de la symbolique, des dogmes et des éléments de foi présents dans chacun des sacrements.
Au titre de l'ouverture oecuménique, Vatican II permet l'accueil eucharistique. Même si les protestants ont du mal avec la transubstantiation, un accueil eucharistique prend du sens : partager ensemble la communion au Christ, en frères et soeurs, faire mémoire ensemble de la dernière Cène. C'est tout sauf rien dans nos fois respectives !
Le chafouin et Tigreek :
Un cas biblique similaire : Zachée. Il ne respecte pas toutes les conditions non plus. Il manifeste cependant un désir de connaître le Christ et la disposition de coeur pour cela (celle du pauvre, du petit : il cesse de croire à l'accumulation des choses, vécue pendant sa vie de collecteur, pour constater le vide béant dans son être - comme dans le nôtre - qui ne peut être comblé que par l'amour du Christ).
Alors, Tigreek, je vous encourage à envoyer votre lettre à votre évêque, et s'il a compris l'eucharistie, il sait que chacun, catholique ou pas, y vient comme un mendiant. Si vous vivez le coeur de l'acceptation du don de Jésus, alors un rejet ne peut être que sur la base d'un légalisme qui confine au pharisaïsme. Dans ce cas, je le déplorerais en tant que catholique ; je vous recommanderais alors de ne pas créer le scandale, mais de vivre l'attitude de cet autre publicain à la synanogue, conspué par le pharisien : n'ayant crainte, c'est sa prière à lui que Dieu écoute !
Fraternellement.
@Paul : Merci de votre éclairage. J'ai envoyé cette lettre, et l'évêque m'a répondu ; j'ai un billet en préparation à ce sujet.
Je ne cherche pas à faire scandale, à provoquer. Si l'accueil eucharistique nous est refusé, je le regretterai. Je voudrais faire prendre conscience que des gens hybrides comme moi existent, que nous pouvons être des ponts, des traits d'union entre nos Eglises. Il semblerait qu'actuellement, nous serions plutôt du poil à gratter que des traits d'union...
Etre un mélange, ça n'est évidemment pas être rien! Bien au contraire! D'autre part, il me semble que nous avons beaucoup avancé sur le chemin de l'oecuménisme : il serait bien que cela ne soit pas que des paroles, mais se traduise en actes.
@max : Merci du soutien. Faire l'oecuménisme, et pas seulement en parler, ça se passe tous les jours... et les diacres en sont des acteurs importants !
En fonction des personnes, des lieux, c'est plus ou moins difficile ; il va me falloir améliorer mes capacités de dialogue, de pédagogie, de diplomatie... Avec l'aide de l'Esprit, cela devrait être possible d'avancer !
C'est dommage, car dans l'autre sens, les protestants acceptent très facilement les catholiques. Personnellement, je suis catholique, j'ai converti de nombreuses personnes à la chrétienté (quasi tjs le protestantisme) alors que j'ai des doutes énormes sur ma foi. Cela ne change en rien le fait que les gens me prenne pour un protestant et, quand je leur explique que je suis catholique, n'y voie aucun inconvénient à une croyance propre, pas tout à fait celle du catholicisme ni celle du protestantisme.
Dommage! le concile de Vatican II m'octroie la liberté de croyance. La foi, en gros...
Bonne chance!
@Damien : Oui, les protestants (Eglise réformée, en tout cas) sont plus souples. Mais cela ne résout rien : par exemple, les catholiques qui voudraient partager la vie d'une paroisse protestante peuvent difficilement le mettre en pratique, car s'ils vont au culte, l'Eglise catholique ne reconnaît pas la Sainte Cène comme une Eucharistie, et ils se doivent donc d'aller à une messe à un autre moment de la semaine...
Lors d'une conférence, un prêtre disait que parfois, le dialogue était plus facile avec les Eglises baptistes ou évangéliques, car elles sont moins souples que l'Eglise réformée, et du coup comprennent mieux les positions fortes que tiennent les catholiques.