La force d'un bébé
Par Tigreek le mardi 17 août 2010, 23:02 - Tranches de vie - Lien permanent
Métro parisien, ligne 13, vers le Nord, en fin de journée. La rame se dirige vers les banlieues aux noms, disons, lourds de sens : Saint Denis, Gennevilliers... Saint Denis ne signifie plus la cathédrale des rois de France, mais le symbole des "cités". Les gens sont bigarrés, divers comme peuvent l'être des passagers du métro, depuis l'ado rebelle jusqu'au cadre en costume, en passant par les jeans-pulls passe partout.
Une station, quelque part entre Montparnasse et Saint-Lazare. Les portes s'ouvrent, les voyageurs montent ou descendent, chacun suivant son propre chemin, concentré sur sa destination. Peu avant le signal sonore, un homme entre : il détonne clairement sur le reste de la population... Âgé, son seul maintien suffirait à le distinguer des autres. Il se tient très droit, "raide comme la justice", dit l'expression, dans ses souliers vernis. Très mince, il se veut impeccable dans son costume noir à fines rayures, pochette élégamment glissée dans la poche de sa veste boutonnée. Fin du fin, les boutons de manchettes brillent, tout comme l'épingle de cravate[1]. Toujours droit, il garde le regard haut, même lorsqu'il s'agit de s'accrocher fermement d'une main pour rester stable dans les soubresauts du train lancé à vive allure.
Nathalie, presque quatre ans, a du mal à rester en place. Elle a déjà supporté trois heures de voyage en TGV, est impatiente de rentrer à la maison... Pour passer le temps, elle approche de sa petite sœur, six mois, posée à même le sol du wagon dans son Cosi[2]. Elle lui parle, lui donne son jouet, fait le clown. Effet réussi : la petite éclate de rire. Surpris, les yeux de l'homme se baissent, voient le bébé... Un sourire se dessine, l'espace d'un instant, l'homme et le bébé partagent la même joie. Ce simple sourire transforme le voyageur : un cœur semble avoir émergé du robot policé par les règles de conduite.
Station Champs Elysées-Clémenceau. Le sourire a disparu, il descend. J'espère qu'il se souviendra, de temps en temps, du rire d'un bébé...
Petit bonhomme, j'aime entendre ce rire !
- Justement, ce sera mon cadeau...
Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince
Notes
[1] Était-ce réellement une épingle de cravate d'ailleurs ? Je n'ai jamais vu cet accessoire auparavant, quelque chose qui tient les deux rabats du col de chemise, passant sous le nœud de la cravate...
[2] NDLR, pour ceux qui ne sont pas parents : coque protectrice destinée au transport d'un bébé, notamment en voiture