Il a une gueule d'ange, un sourire malicieux, des yeux qui transpercent autant qu'ils brillent, et des mains d'icône, aux longs doigts très fins... Son physique tranche étrangement avec la sévérité de sa mise, toujours du noir le plus profond, excepté le petit carré blanc du col romain, qui le fait identifier immédiatement comme un prêtre. Il m'effraie, un peu, et sa rigueur ne s'atténue que faiblement lorsqu'il revêt l'aube, pour se draper de son amour envers le Seigneur.

Lorsque, vendredi, je viens quérir auprès de lui le sacrement de Réconciliation, il me demande mon parcours, si j'ai reçu le baptême. Il a bien remarqué que si je suis au premier rang lors de la messe, je ne communie jamais. Je lui explique mon mélange, mon enfance passée dans une éducation multiple, l'obligation de choisir une confession, mon refus devant ce choix, et ma résignation. Inflexible, il me refuse l'accès au sacrement.

Détresse : qu'ai-je fait de mal ?
Colère : il n'a rien compris au sens du message de Jésus, qui accueillait les pécheurs !
Tristesse : le chemin de l'unité est fort long, et semé de tellement d'embûches...

S'ensuit une très longue nuit, une très longue journée, ressassées, remplies de prières, une surtout : ne pas céder à la colère, si facile. Beaucoup de doutes : suis-je donc un monstre, pour que l'on n'accepte pas ce que je représente ? Suis-je un élément si dangereux pour la bonne marche de l'Eglise, qu'il faille me réduire à néant, me ranger dans les ennemis, me refuser la moindre parcelle de la vie en Eglise ? Suis-je vraiment si hérétique que cela, d'oser imaginer une Eglise universelle, une qui respecte la prière sacerdotale de Jésus : "qu'ils soient un comme nous sommes un[1]" ? J'ai mal, très mal...


***

Lui a les cheveux blancs, des manières un peu bourrues, un bon sens paysan et est vêtu comme n'importe quel grand-père heureux. Seuls signes particuliers, son sourire pour chacun, et ses yeux pétillants au fond desquels on pourrait sans doute se représenter la joie pure du Christ ressuscité.

Ce matin, lors de la messe, il a cité :

Dieu m'a créé pour une tâche précise à son service ; il m'a confié un travail que moi seul peux accomplir et nul autre. J'ai une mission ; je peux ne pas la connaître tout au long de cette vie, mais elle me sera révélée dans l'autre. Je suis un maillon d'une chaîne, un lien entre des êtres. Il ne m'a pas créé pour rien.
John Henry Newman[2]
Méditations on Christian Doctrine

L'eucharistie a pansé en partie ma blessure. Mais plus que le sacrement, ces mots ont été pour moi signe d'espoir. S'il m'a confié un travail, que nul autre ne peut accomplir, je le ferai.

J'ai mal. Je ne comprends pas toujours ce que Dieu attend de moi. Mais j'essaierai de répondre à Son appel.

Notes

[1] Jean 17, 21

[2] JH Newman est un théologien anglican converti au catholicisme au XIXe siècle et devenu cardinal, béatifié par Benoît XVI lors de son récent voyage au Royaume-Uni. (NDLR : le fait que ce personnage, juste béatifié, soit lui aussi un "mélange" n'est pas pour me déplaire...)