Dialogue interreligieux ou relativisme ?
Par Tigreek le mercredi 06 juillet 2011, 23:37 - Témoignage - Lien permanent
Je crois que parfois, je frise l'indécence. Si, si. D'abord j'ai des discussions à propos de Dieu au boulot. Ah, vous voyez bien, que je pousse aux bornes des limites ! Ensuite, c'est en anglais. Ben oui, parce que pour faire communiquer des indiens et des français, il faut bien trouver une langue commune...
Mais le plus gros de tout ça, c'est que... Je vais plus loin dans la discussion à propos de Dieu, de la prière, du ressenti dans les lieux sacrés, avec ces collègues indiens, leur autre culture, leur vue différente sur la nôtre, notre communication en langue étrangère, qu'avec des amis bien français, pétris de préjugés, de mauvaises expériences, rejetant en bloc toute idée de spiritualité quelle qu'elle soit...
Alors, quelle(s) conclusion(s) en tirer ?
C'est d'abord un constat un peu désabusé. Oui, il faut faire un effort, ça peut faire peur... Il faut prendre le risque d'aimer véritablement son prochain. Oser se mettre à nu, accepter de laisser tomber un peu de ses apparences pour accueillir l'autre, ça chamboule, ça déstabilise, ça peut même faire mal parce qu'il peut y avoir des maladresses... Oui mais... Ca veut aussi dire qu'on est plus ouvert à toutes les perles qui peuvent briller, comme ça, d'un coup, sans crier gare !
C'est aussi le regret que des personnes, plus proches de moi, en termes de culture, de foi, de pratique religieuse, de langue, restent bloquées dans une peur terrible de l'autre, à tel point qu'il est impossible de tenter une idée d'acceptation. Un "c'est vraiment n'importe quoi", rageur, marmonné en pleine homélie, alors que le prêtre parlait de l'islam comme d'un possible autre chemin pour parvenir à Dieu, m'a bien fait comprendre que mes relations riches autant que renversantes avec mes amis indiens font encore figure d'exception. Ces personnes me taxeraient sans doute de relativisme, de faiblesse à vouloir explorer les chemins du divin entre croyants, fussent-ils de différentes sensibilités...
Finalement, il reste quelques regrets, mêlés à une grande joie... Un lien qui s'affirme, confirmant ce que j'avais pressenti il y a déjà une quinzaine d'années : les différentes religions ont énormément de similitudes, et les rapprochements peuvent parfois prendre des voies bien surprenantes...
Commentaires
"Les différentes religions ont énormément de similitudes"... mais oui, évidemment ! L'énorme point commun entre toutes, c'est qu'elles sont vécues par des hommes et des femmes qui sont tous des hommes et des femmes pécheurs, issus d'une culture particulière, qui avons été aimés et blessés depuis notre plus petite enfance, qui avons tous une histoire personnelle, et sommes tous doués d'une volonté, d'une intelligence, d'une mémoire et d'une conscience.
Nous avons tous une vision, une image, du monde et de Dieu. Une vision, une image qui est forcément plus ou moins voilée, fausse, autant qu'elle a toujours quelque chose de juste et de vrai, et de beau.
Ça fait une foule d'énormes similitudes...
... et la différence, essentielle, c'est Dieu. Dieu qui se révèle pleinement, qui se donne pleinement, en Jésus-Christ, seul chemin, seule vérité, seule vie divine, qui nous est donné, qui nous donne sa vie sur la croix pour nous sauver, tous.
"Il y a autant de chemins pour aller vers Dieu qu'il y a d'hommes, disait (en substance) le cardinal Ratzinger à un journaliste, mais tous ces chemins passent par Jésus-Christ". Qu'ils le sachent, ou pas.
A nous, chrétiens, de trouver comment le faire connaître, dans l'infini respect de chaque personne, de son chemin, de sa vie, de sa liberté... et dans l'infini respect de Dieu qui s'est révélé à nous, alors même que nous ne le méritions pas plus que ceux qui ne connaissent pas encore ce Jésus en qui il s'est révélé et donné pleinement à nous.
Mais, pour le faire connaître, il faut commencer par les similitudes, énormes... et ces similitudes, c'est l'homme, qui est le même en tous temps et en tous lieux.
Sauf que, en l'occurrence, Dieu, c'est ce qui nous rapproche. Parce que quand un hindou, qui ne connaît que dalle au christianisme, me dit qu'il aime aller se ressourcer au Sacré Coeur, je me dis qu'il y a un truc. Ca me bouleverse. C'est pas Notre Dame ou n'importe quelle autre église, c'est le Sacré Coeur, avec son adoration perpétuelle...
Faire connaître le Christ ? Il l'a déjà compris... Comment irai-je le lui enseigner ? Même s'il n'en a pas pleinement conscience, il le perçoit.
Je suis particulièrement mal à l'aise quand il s'agit d'évangélisation ou de prosélytisme (si, si, soyons fous, sortons carrément les grands mots). Pour les athées, ceux qui cherchent, évidemment. Mais pour ceux qui ont leur propre religion ? Il y a tellement à apprendre de la rencontre de l'autre !
Parler de Dieu au boulot, pourquoi pas! J'ai eu pour ma part des conversations très riches avec un collègue musulman, comme quoi! Lorsque les uns ou les autres se posent des questions pour eux ou pour leurs enfants (c'était le cas de ce collègue musulman) pourquoi ne pourrons-nous pas dire notre expérience humaine de cheminement vers Dieu? Je ne crois pas qu'il s'agisse de prosélytisme, mais parler de ce qu'on vit et de ce qu'on croit est naturel.
J'aime bien ce que dit Vianney, citant le cardinal Ratzinger, le Christ est Le Chemin, mais "il y a autant de chemins pour aller vers Dieu qu'il y a d'hommes"
C'est tout naturel de constater que "des personnes, plus proches (...) restent bloquées dans une peur terrible de l'autre" ; car ne pends tu pas là ces personnes dans un "échantillon" plus large ? Un échantillon où l'on trouve de tout... Combien de personnes "plus proches (...) en termes de culture, de foi, de pratique religieuse, de langue" dans l'entourage de ton amie partageant cette peur de l'autre ?
Ma femme et moi vivons l'interreligieux dans notre couple ; mais nos familles n'avaient pas fait ce choix, comment en vouloir à ceux parmi eux qui eurent des crispations (sinon plus...) ?
Après, il y a les spécificités françaises du moment... Rejet du religieux sauf s'il est perçu comme "exotique", et puis la volonté politique de jouer sur la peur de l'autre pour détourner l'attention des questions les plus graves...
@max : oui, mais justement, je découvre une autre dimension que ce que j'ai l'habitude d'avoir en face de moi... Parce que mon interlocuteur n'est plus un indifférent, voire un "bouffeur de curés", mais quelqu'un qui a une foi aussi profondément ancrée que la mienne. Qui s'intéresse à ce que je vis et me partage son expérience... Quelle joie, quelle surprise aussi, et quelle découverte...
@Ren' : contrairement à toi, je découvre l'interreligieux... Ce qui me pose plus de questions que l'oecuménisme ! Côté oecuménisme, j'ai l'habitude de devoir gérer les susceptibilités des uns et des autres ; aujourd'hui je parle de ce que je vis sans complexe, et je sais répondre aux questions qui reviennent souvent de la même manière. L'interreligieux me paraît tellement plus... "glissant"... Je crois que je vais profiter de la chance qui m'est offerte, et m'engouffrer dans la possibilité de la découverte. Mais j'ai bien conscience d'être dans un milieu privilégié, permettant une ouverture certaine, ce qui n'est probablement pas le cas de nos milieux d'origine respectifs, ici ou en Inde...