Athée, vraiment ?
Par Tigreek le lundi 06 mai 2013, 20:29 - Témoignage - Lien permanent
Pito est geek, un peu. Célibataire, il a traîné ses guêtres dans différentes branches professionnelles avant d'atterrir dans l'informatique parisienne, comme beaucoup, à l'approche de l'an 2000. Il se dit athée par désintérêt... Et à l'occasion, parle avec un certain mépris d'un curé de son enfance qui l'a marqué. Dans le mauvais sens du terme. Depuis, il ne veut plus entendre parler de l’Église. Il a deux filleuls, qu'il couvre régulièrement de cadeaux et dont il suit l'éducation avec assez d'intérêt. Il veut être un parrain copain et bienveillant, cherchant à éveiller la curiosité intellectuelle de ses filleuls, leur sens critique... Et de la négociation aussi, parfois !
Pivi est geek aussi, à fond : jeux de rôle, univers fantastiques et de science fiction, esperanto, programmation professionnelle et personnelle... Marié, deux enfants, il a le sourire aussi facile que le verbe, le coeur sur la main et une franchise qui fait parfois grincer des dents. Surtout en entreprise. La religion ? Il en a eu un aperçu. A rencontré des clercs pas très ouverts, d'après ses dires. Et après avoir subi les épreuves de la vie, vu le mal de près, il refuse de croire en un Dieu bon. Et même en un dieu tout court. Malgré tout, il reconnaît qu'il a été élevé dans une société judéo-chrétienne dont il apprécie les valeurs. Il s'est marié, mais pas à l'église. Son fils, l'aîné, a reçu le baptême à l'église pour des convenances familiales ; sa fille cadette a reçu un "baptême républicain". Il ne donnera pas de catéchisme à ses enfants, s'efforcera de les éduquer à différents points de vue spirituels "pour qu'ils puissent choisir une religion, s'ils le souhaitent".
Jean Claude a un travail répétitif, qu'il trouve barbant et peu enrichissant intellectuellement. Pour ne rien arranger, ses collègues, qui ne ratent pas un épisode de "l'amour est dans le pré", seraient bien incapables de citer trois espèces de céréales ou trois races bovines... Avide de savoir et de réflexion, il cherche en permanence la discussion sur des sujets aussi divers que la géopolitique, l'histoire, la philosophie, les religions... Rien ne l'intéresse plus qu'un débat argumenté sur un sujet qu'il maîtrise ou qu'il souhaite approfondir. Il s'est construit seul, faute de structure familiale solide et de moyens financiers suffisants. Son enfance au parcours chaotique n'a pas laissé la place pour un enseignement religieux. Il se dit athée, agnostique, bouffeur de curés... Et est trop heureux de lancer une discussion sur les différences entre les cathares et les protestants. Sa soif spirituelle, son besoin de présence, de lien, se ressentent dans chaque propos qu'il tient. Athée, vraiment ?
Bénédicte a grandi dans une famille rationnelle. Les pieds sur terre, la valeur du travail avant tout, elle est devenue une fourmi[1] laborieuse, hypermotivée, la conscience professionnelle chevillée à l'esprit. Elle se targue d'avoir un minimum de culture, et a bien appris quelques histoires, des traditions religieuses, la signification de certaines fêtes... Comme beaucoup, elle confond immaculée conception (de Marie) avec conception virginale (de Jésus). Sans attachement particulier à l’Église, elle prône une éducation forte et stricte, sévère mais juste, une morale assez classique somme toute.
Guillaume s'est construit par provocation, par opposition aux autres. Opposition à sa mère dont il n'était pas le préféré et pour laquelle il s'acharnait à être toujours plus turbulent. Opposition sociétale en choisissant un look que l'on peut qualifier de marginal : cheveux longs, habillé de noir de la tête aux pieds et parfois jusqu'aux ongles. Opposition à une Église qu'il considère comme un instrument de pouvoir et de manipulation, à un Dieu dont il nie farouchement l'existence. Pourtant... Derrière la façade un peu abrupte, on le découvre compétent, serviable, toujours de bonne compagnie et l'oreille attentive. Il joue avec humour de son côté décalé et ne veut surtout pas entendre qu'il pourrait avoir quelque attache... Mais est prêt à aller jusqu'au mariage religieux, lui qui se dit ouvertement athée, pour pouvoir faire sa vie avec celle qu'il aime, la mère de son fils dans quelques temps[2]. C'est aussi celui de mes coéquipiers qui affiche le plus ouvertement son ignorance de tout catéchisme, et me pose régulièrement des questions sur tel ou tel point de pensée, de dogme, pour avoir une sorte "d'état de l'art"...
Sylvain et Élodie ont été baptisés, et c'est à peu près tout. Concubins depuis plusieurs années, ils ont fini par se marier. C'est alors que la question s'est posée : mariage religieux ou pas ? J'avais fait une bénédiction lors du mariage d'un couple d'amis, ils s'en souvenaient et avaient été touchés, à défaut de comprendre ou d'adhérer. Conscients de la légèreté voire de la provocation que serait de leur part une demande de mariage à l'église, ils ont évoqué l'idée d'une bénédiction, une petite prédication, "quelque chose"... Nous en avons discuté ensemble, parlé superstitions, croyances, foi, rites, symboles et ressentis... Un peu de la Bible et de Jésus, aussi. On a cherché le fond de leur demande, je leur ai dit que c'était eux qui se mariaient, pas leurs grand-mères pour qui c'était fait depuis longtemps. Nous n'avons pas fait de célébration. J'espère juste ne pas avoir rebuté, permis de poser une réflexion, quelque chose qui ait un peu de sens.
Au travail, entre amis, en famille, se définir comme "athée, avec des valeurs" est désormais l'équivalent de celui qui, il y a deux générations, allait à la messe le dimanche "parce que ça se fait". Mais sont-ils véritablement athées, ces gens qui m'entourent, me provoquent, me questionnent ? Sont-ils si différents de ceux qui, il y a quelques décennies, n'avaient d'image de l’Église que celle que leur renvoyait le curé lors de la messe où les (en)traînaient leurs mères, leurs épouses, leurs enfants ? Quel est mon rôle, notre rôle, en tant que croyants ? Doit-on seulement tenir un rôle particulier ?
Note : oui, je parle essentiellement de gens venant de familles catholiques. Je préviens d'avance les trolls protestants : si je n'ai pas d'exemple en tête dans un cadre protestant, c'est probablement à cause de leur minorité (je rappelle que les protestants représentent environ 3% de la population en France ; et par exemple, je n'en connais aucun dans mon environnement professionnel). Je sais que le même type d'histoire, version protestante, se trouve aisément en Suisse, en Alsace, dans le sud de la France, où le protestantisme est davantage une confession "installée", au même titre que le catholicisme.
Notes
[1] ou une abeille ?
[2] Depuis le début de rédaction de cet article, son fils est né. Il s'appelle... Nathaniel (ce qui veut dire "don de Dieu", en hébreu) ! Quand je lui ai demandé s'il connaissait la signification de ce prénom, il m'a répondu "oui" avec un grand sourire... Une provocation de plus, ou une porte ouverte à un Autre potentiel ?
Commentaires
J'aime bien tes questions à la fin de ton billet. Je me pose les mêmes.
@Corine : une amie en master de théo m'interrogeait récemment sur mes "exercices spirituels" (en pensant à la spiritualité ignacienne, mais pas seulement). Je disais que la confrontation au jour le jour avec des athées en était un, imposé certes, mais un exercice, obligeant à se positionner, réfléchir à ses propres attachements, aux raisons qui font qu'on croit telle ou telle chose. Quand on est "tombé dedans étant petit", ça fait passer par des questionnements que l'on n'a pas forcément eu sur notre chemin de foi.
Pour rebondir sur ta deuxième note de bas de page et en même temps notre conversation sur les "exercices spirituels" : est-ce qu'une provocation n'est pas par définition une question posée, donc une porte ouverte ?
@babiethea : si, sans doute. Pas étonnant, soit dit en passant, de la part de cet ami espiègle...
Le tout est de savoir se jouer de l'ouverture, de manière suffisamment délicate, pour ne pas créer involontairement une bourrasque. Cela claquerait aussitôt la porte !
Athée vraiment ?
Ma chère Tigreek
Ma grande…………. athée vraiment oui je le suis
Revenons au sens du mot athée : il n'existe rien dans l'Univers qui ressemble de près ou de loin à ce que les croyants appellent un « dieu », ou (dieu)
La seule forme authentique de l'athéisme c'est, dans la théorie, la philosophie rationnelle et critique qui refuse toute prétention de fonder la vie sur des absolus; et dans la pratique une éthique pragmatique (donc sceptique), régulatrice du désir dans la relation à soi et aux autres en vue de réduire le risque de violence, d'accroître l'autonomie et la solidarité précisément humaine en ce qu'elle fait du désir et de ses ambivalences et contradictions l'essence de l'homme.
Ce ne sont pas les athées qui les premiers ont parlé de Dieu, qui l'ont conceptualisé, ce sont les croyants. L'idée que se font les athées de la notion de Dieu est bâtie à partir d'une interprétation de ce qu'elle représente pour les croyants. C'est l'interprétation d'une idée, d'un concept… Si tous les croyants avaient la même définition de Dieu, ce serait un peu plus facile.
Comme il est dit à juste titre, Dieu est un concept modélisé. Pourquoi les athées n'auraient pas le droit de modéliser des concepts, comme Dieu, ou le Père Noël, dont on ne croit pas à l'existence ? Un concept n'implique nullement l'existence réelle.
@jean-claude : l'étymologie du mot "athée" consiste en le préfixe privatif "a", suivi du mot grec "theos" signifiant "dieu" (la minuscule est ici à dessein). Évidemment que ce sont les croyants qui parlent de Dieu, d'un principe divin, d'un ou plusieurs dieux. L'athée ne se construit qu'en faux par rapport à ces conceptions, qu'en creux par rapport à une idée de départ d'une divinité et ses attributs, qu'en négatif par rapport à une vision ou une expérience divine et/ou religieuse.
Pour moi l'athéisme est au mieux une négation, au pire une religion se bâtissant "contre" et pas "avec". Contre les croyants, contre toute idée de divinité, contre toute institution religieuse, contre l'idée qu'il puisse y avoir quoi d'autre de pensant que l'être humain dans l'univers. En cela les libres penseurs, tels que nous pouvons les connaître tous deux, sont les plus grands prosélytes de cette religion que je puisse imaginer.
Néanmoins, dans ce billet mon propos n'était pas de définir l'athéisme... Plutôt d'exprimer une sorte d'incohérence telle que je la ressens entre ce que toi et les autres professez (l'athéisme, plus ou moins affiché, plus ou moins convaincu, plus ou moins réfléchi) et ce que vos actes montrent. Tu me contrediras sans doute, mais je pense que tu es profondément croyant. Comme je l'ai dit ci-dessus, ton comportement, tes valeurs, la sacralisation que tu fais de certains éléments de ta vie, la communauté que tu t'es créée, la sensibilité dont tu fais preuve et que tu transmets, me font étrangement penser à un besoin de croire, à une soif de spiritualité. Ta connaissance des religions, même si tu n'y adhères pas, est un autre signe de ton besoin spirituel, même si tu penses l'avoir comblé autrement.
"Il faut des rites." C'est le renard qui le dit au Petit Prince. Et je pense que tu ne le contrediras pas... Je me trompe ?