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vendredi 17 septembre 2010

Présence choisie

En centre ville, en pleine vie, l'église accueille ceux qui, la semaine de travail terminée, viennent reprendre leur souffle.

Dans les mains du prêtre, l'hostie se lève, ronde et claire. Les cris joyeux des enfants du square voisin se sont tus. Aucune voiture ne circule dans la rue longeant l'édifice. Le silence prend soudain toute son intensité, empli d'une Présence indescriptible. En plein dans le cœur...

- Ah non, tu ne vas pas remettre ça ?!
- Pardon ?
- Tes imbécillités sur la présence réelle, là... Tu vas nous faire un coup de trémolo ?
- Ce n'est pas de ma faute si j'ai une... certaine sensibilité...
- Sensibilité tu parles ! Tu te mets toi-même à moitié en transe en te faisant un film !
- Je te ferai remarquer que je ne "fais pas un film" à chaque fois. Cela faisait des mois que je n'avais plus ressenti cette présence pendant l'eucharistie...
- Ah ? Tu veux te faire remarquer, alors ?
- Comment ça ?
- Regarde-toi : tu serres les poings, tu trembles... Tu sais pertinemment qu'on va te voir.
- Tu ne me laisse pas profiter de cette présence ! C'est toi qui me crispes !
- Déjà que tu ne communies pas alors que tout le monde le fait...
- Ce n'est pas faute de vouloir, tu le sais aussi bien que moi !
- Mouais... Tu sais bien que d'autres ne prennent pas autant de gants avec le droit canonique, et qu'ils communient même s'ils ne devraient pas.
- Ce n'est pas comme ça que je le vois.

[...]

- N'im-por-te quoi !
- ??
- C'est le grand jeu...
- Comme tous les vendredis, tu sais que l'adoration me fait du bien. Laisse moi L'écouter.
- Mais ça devient grand-guignolesque ! Le bidule doré...
- Un ostensoir.
- Si tu veux. Les bougies, tout le monde à genoux devant cette hostie, à chanter "Jésus"... Tu sais que les réformateurs tiennent cela pour de l'idolâtrie, non ?
- Ce n'en est pas. Je le sais, je le sens. Arrête de vouloir me mettre mal à l'aise...
- Prier Dieu, je veux bien. Mais Imaginer Jésus là-dedans, c'est trop pour moi.
- Tu as une façon de penser tellement rationnelle...
- Et toi, tu suis trop tes sensations ! La foi c'est pas un ressenti, on te l'a déjà dit pourtant !
- La foi n'empêche pas le ressenti, laisse-moi en profiter lorsqu'il se présente !

[...]

- Hum...
- Quoi encore ?
- Le chapelet en plastique rose accroché sur la statue de la Vierge à l'enfant, c'est le top du ressenti ?
- Euh... Je ne sais pas d'où ça vient. Le kitch n'empêche pas la foi, si ?
- T'avoueras que ces gens qui viennent se planter devant Marie pendant la messe, c'est quand même pas très logique !
- Chacun approche Dieu comme il le peut, même si ce n'est pas notre façon de voir les choses...
- Notre ?
- Oui. Si tu te mets autant en colère contre moi, c'est peut-être parce que ça te touche aussi.
- C'est surtout que je pourrais être au temple, à prier avec Henri, Gisèle et les autres !
- Mais je n'ai pas le don d'ubiquité. Pas davantage aujourd'hui qu'hier.
- Et choisir, c'est renoncer.

Dehors, les panaches gris moutonnent dans le ciel flamboyant des lumières du couchant. Le tabernacle refermé, l'église plonge dans l'obscurité. Une légère lueur éclaire doucement le fond du chœur. Et la flamme rouge qui oscille.