L'art oratoire et celui d'élision
Par Tigreek le dimanche 04 octobre 2009, 23:19 - Oecuménisme au quotidien - Lien permanent
Ils sont forts, ces prédicateurs ! Donnez-leur les textes du jour, mettez-les devant un ambon ou sur une chaire, tentez-les un peu sur un point de dogmatique et de sociologie, et ils vous font un discours passionné à faire frémir la personne la plus endormie de l'assistance... Le tout en éludant allègrement un passage des textes pour mieux insister sur ce qui les intéresse.
Les textes du jour, aussi bien dans l'Eglise catholique que dans l'Eglise réformée, comprenaient l'évangile de Marc 10, 2-16 :
Un jour, des pharisiens abordèrent Jésus et, pour le mettre à l'épreuve, ils lui demandaient : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? » Jésus dit : « Que vous a prescrit Moïse ? » Ils lui répondirent : « Moïse a permis de renvoyer sa femme à condition d'établir un acte de répudiation. »
Jésus répliqua : « C'est en raison de votre endurcissement qu'il a formulé cette loi. Mais, au commencement de la création, il les fit homme et femme. A cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu'un. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais ils ne font qu'un. Donc, ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas ! »
De retour à la maison, les disciples l'interrogeaient de nouveau sur cette question. Il leur répond : « Celui qui renvoie sa femme pour en épouser une autre est coupable d'adultère envers elle. Si une femme a renvoyé son mari et en épouse un autre, elle est coupable d'adultère. »
On présentait à Jésus des enfants pour les lui faire toucher ; mais les disciples les écartèrent vivement. Voyant cela, Jésus se fâcha et leur dit : « Laissez les enfants venir à moi. Ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. Amen, je vous le dis : celui qui n'accueille pas le royaume de Dieu à la manière d'un enfant n'y entrera pas. » Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains.
Aussi bien le prêtre que le pasteur ont passé sous silence le dernier passage, les versets 13 à 16, parlant des enfants. Tous les deux se sont focalisés sur l'histoire de couple, le piège tendu à Jésus par les Pharisiens, et dans lequel il est si facile de tomber à notre tour en cherchant à interpréter et actualiser la scène. Pourtant, à l'époque, quoi de plus insignifiant qu'un enfant ? Ce sont des éléments négligeables et négligés, ils ne sont pas écoutés, doivent se taire, laisser discuter les adultes...
Dans ce texte, davantage qu'une morale sur la vie de couple, Jésus s'intéresse aux plus petits, aux personnages méprisés de son époque : les femmes et les enfants. Les hommes vont à la synagogue, discutent des enseignements religieux, peuvent entrer dans le Temple à Jérusalem... Les disciples de Jésus ? Encore des hommes, qui repoussent les femmes lorsqu'elles veulent approcher, qui vont vérifier leurs dires lorsqu'elles rapportent la nouvelle du tombeau vide... De même, dans ce passage, est dit "on présentait" (verset 13). Qui est ce "on" qui veut approcher de Jésus ? Probablement des mères accompagnant leurs enfants... Elles ne valent pas la peine d'être reçues, les disciples veulent les écarter pour profiter de l'enseignement du Maître, ils sont sérieux, eux ! Ils me font penser au businessman du Petit Prince, qui n'arrête pas de répéter "Je suis sérieux, moi !"...
Alors, oui, mon Père, on peut justifier les positions de son Eglise sur le sacrement du mariage, sans jamais le citer. Faire une homélie en trois points sur le sommet particulièrement haut proposé par Dieu, le long et difficile chemin pour y parvenir, et la nécessité d'avancer en tenant compte de ceux deux paramètres, sans les fausser. Oui, on peut parler de la dernière encyclique du Pape, Caritas in veritate, en suggérant rien moins que la démarche de Dieu lui-même, de la miséricorde apportée pour supporter les exigences qu'Il nous donne. Mais que faites-vous des souffrances qu'endurent chaque jour ceux qui ont fait des erreurs, qui succombent à une situation intenable, et se trouvent de fait mis au ban d'une Eglise qui par ailleurs prône la protection des plus faibles ? Peuvent-ils encore espérer le pardon ?
Oui, cher pasteur, on peut à l'inverse justifier le divorce, en disant que la répudiation du temps de Jésus n'avait rien à voir avec le divorce d'aujourd'hui ; que c'était une histoire d'hommes et que les femmes n'avaient pas leur mot à dire, alors qu'aujourd'hui, trois divorces sur quatre sont demandés par des femmes ; qu'au lieu de tomber dans le piège des Pharisiens, Jésus leur répond en remettant un peu d'égalité entre homme et femme. On peut reprocher à l'Eglise catholique d'avoir fondé sa théologie du sacrement de mariage essentiellement sur ces quelques versets, alors qu'a priori, le mariage au temps de Jésus n'avait rien à voir avec ce qui s'est fait par la suite chez les chrétiens (encore que, en termes de mariages arrangés, de répudiation plus ou moins sévère, les histoires des nobles du Moyen Age et de la Renaissance ne devaient pas avoir beaucoup à envier au monde juif du temps de Jésus). On peut saluer le divorce comme une avancée, un droit à la vie pour les femmes victimes de violences conjugales. Mais alors, quelle valeur donner au mariage ? Quelle crédibilité donner à l'engagement promis, lorsqu'un couple s'unit devant Dieu ?
Et enfin, pour revenir aux quelques versets passés sous silence, quid des enfants ? Doivent-ils être les victimes d'un couple se disputant sans cesse, voire les prenant à partie ? Ou bien déchirés entre deux milieux, deux maisons, deux familles recomposées ? Ne doivent-ils pas être notre priorité ? En tant que plus petits, nous nous devons de les protéger, les aimer, prier pour pouvoir leur partager un peu de cet Amour immense auquel nous croyons... Ecouter aussi leur simplicité, leur naïveté, leur efficacité brutale parfois... Et si c'était eux qui nous donnaient les bonnes réponses ?
Commentaires
Mon pasteur s'est concentré sur le passage des enfants. Il n'a même pas lu la première partie sur l'adultère ! Très belle prédication en plus.
@authueil : Comme quoi chacun voit midi à sa porte... Ton pasteur est-il du genre à mettre sa prédication en ligne, que j'y jette un coup d'oeil ? Quant à Eric George chez qui j'ai aussi regardé, il botte en touche en ne suivant pas la liste de textes "classique"...
Quand elle sera en ligne, ce sera là : http://oratoiredulouvre.fr/predicat...
@authueil : Effectivement, prédication très intéressante ! Merci pour ce complément.
(d'ailleurs, ne devrais-tu pas faire preuve d'un peu d'accueil envers nos frères cathos, et faire un tout petit peu moins de cathobashing ? )
En fait, ces prochains temps, je en suivrai pas les textes du jour : je me suis lancé dans une lectio continua de l'Exode (bref, pas question de botter en touche, mais simplement une évasion par rapport aux Paroles pour tous (il existe d'autres listes protestantes) qui nous conduisent à prêcher toujours sur les mêmes textes sur un cycle de 4 ans...
Sur les enfants et le commandement sur la répudiation, le truc, c'est que ce sont deux péricopes assez différentes, finalement. La tentation de les séparer est donc effectivement forte. J'avais entendu un de mes collègues prêcher sur leur lien en expliquant que les disciples étaient furieux de cette irruption enfantine parce que justement ils parlaient de choses sérieuses. Et du coup, j'aime beaucoup le lien que vous faites entre les deux qui vient en complément de cette remarque
@ Eric George : Concernant le choix des textes, j'espère que vous aviez compris que c'était une simple remarque taquine de ma part ! Je sais que nombre de pasteurs, surtout ayant une certaine carrière et pas envie de "tourner en rond", choisissent d'autres itinéraires pour découvrir la Bible. J'ai d'ailleurs lu le passage de l'Exode sur la circoncision que je ne connaissais pas...
Quant au passage sur les enfants, c'est aussi la réponse du pasteur : "le texte est très mal découpé, il s'agit de deux péricopes différentes". Soit. (Et... même si je comprends le sens général, c'est quoi une péricope ?) Mais à mon avis, c'est au contraire sciemment que les deux parties ont été rassemblées, histoire de changer un peu, et de retrouver le rôle d'empêcheur de tourner en rond des enfants... Quel parent n'a pas râlé lorsque son fils / sa fille vient le / la déranger en plein boulot / paperasserie / sieste / documentaire télé (rayer les mentions inutiles) pour jouer ou raconter une histoire ? Finalement, il arrive qu'on se dise "c'est une heureuse chose qu'il / elle soit venu(e) m'interrompre, sinon je n'aurais pas profité de ce moment"...
Oui, oui, on est bien d'accord, c'est pourquoi je parlais de tentation : dans Marc les deux textes sont bien mis ensembles et reliés...
C'est donc un peu trop facile de les séparer, tout comme l'idée "la répudiation n'a rien à voir le divorce" me paraît un peu rapide (personnellement sur ce texte, je m'interroge plutôt sur "la dureté de votre coeur" et je me demande si nous nous pouvons vraiment prétendre valoir mieux que les contemporains de Jésus...)
Sur l'enfant comme élément perturbateur (et donc évangélique), je vous rejoins à fond. Je tâcherais de m'en souvenir quand je reviendrai à une liste plus traditionnelle de lecture
@ Eric George : S'interroger sur "la dureté de coeur" ? Que voilà une approche catholique !
Quant à s'inspirer de mon idée pour une prédication prochaine, je vous en prie, c'est trop d'honneur...
Humm, il doit y avoir un malentendu : Jésus fait remarquer que c'est à cause de la dureté du coeur des hommes que Moïse a permis la répudiation. C'est à cause de cette même dureté de coeur que le divorce est parfois nécessaire.
Vouloir interdire le divorce à partir du rappel de Jésus c'est penser qu'aujourd'hui, le chrétien vaut mieux que les contemporains de Jésus, ce que je ne crois pas.
Et comme je ne crois pas non plus que Jésus soit un législateur plus sévère que Moîse. Donc de ce texte, je retiens que le divorce est permis mais que cela ne signifie pas qu'il soit bon.
Une position protestante assez classique donc : le divorce est le constat d'un échec, mais face à l'échec humain, le rôle d'une Eglise n'est pas de condamner mais d'accompagner et d'affirmer qu'un nouveau départ est toujours possible.
Et plus généralement, Jésus nous enseigne qu'il ne suffit pas d'être dans le cadre de la loi pour se prétendre juste (ce qui se tient assez bien avec la question des enfants qui sont dépendants contre ceux qui prétendent être autonome par leur observance de la loi...)
Enfin, en gros hein... On pourrait effectivement ouvrir la question des enfants victimes des déchirement de couple
@ Eric George : Effectivement, confusion de ma part. Je pensais que parler de la "dureté de coeur", ce n'est pas dire qu'on vaut mieux que les contemporains de Jésus, mais insister sur le fait que nous sommes tous pécheurs, et que nous devons essayer de nous améliorer. Par conséquent, ne pas demander le divorce alors qu'on pense que sa situation personnelle n'est plus tenable, c'est demander à Dieu de nous rendre meilleurs que nous sommes. C'est un point de vue catholique du sacrement du mariage : homme et femme se donnent le sacrement devant Dieu, et lui demandent de les rendre meilleurs qu'ils ne sont, en leur donnant la force de ne pas rompre le sacrement, par la foi et la prière.
Après, je ne veux pas refaire ici le débat qui a eu lieu chez les Sacristains, mais quelque part, la sacralisation du mariage peut apporter une solidité dans un couple, non ? Je retrouve ici mon "mélange" personnel : j'apprécie la liberté de pensée et une certaine neutralité de jugement des réformés ; mais j'aime aussi penser que le sacrement de mariage donne une "valeur ajoutée" à mon union...
En fait là, nous différencions sur la notion de sacrement. Dans le protestantisme, pour qu'il y ait sacrement, il faut deux choses : qu'il soit institué par Jésus Christ et qu'il soit porteur du message de la grâce de Dieu. La bénédiction nuptiale (qui peut tout à fait être porteuse de la "valeur ajoutée" dont vous parlez) n'est donc pas un sacrement (elle ne répond à aucune de ces deux conditions)
En en discutant avec un prêtre, celui-ci me disait qu'il aimerait que l'Eglise catholique propose une célébration non sacramentelle du mariage qui pourrait être adressée aux divorcés (j'avoue ne pas lui avoir demandé comment il pourrait adresser une célébration même non sacramentelle à des gens qu'il refuse de voir communier : la discussion était déjà assez tendue) mais également aux couples plus éloignés de l'Eglise qui demandent surtout un rite...
Moi qui suis confronté à de plus en plus de demandes de la part de catholiques, et qui vois combien il y a de souffrance, notamment de la part du conjoint non divorcé, je crois qu'il serait urgent que l'ECAR trouve une solution. Parce que la théologie et la dogmatique c'est bien mais face à la souffrance, les protestations de bienveillance sonnent vraiment très creux...
@ Eric George :
1. les divorcés ont accès à l'Eucharistie, pas les divorcés remariés (avec une nuance qui a été expliquée sur Sacristains mais que je n'ai pas bien comprise moi-même).2. le clergé catholique refuse les sacrements de l'Eucharistie et de la réconciliation aux divorcés remariés, mais certains prêtres essaient d'avoir recours à des rites non sacramentels pour tenter de pallier à la souffrance qu'ils constatent.
3. les prêtres ont beau devoir obéissance à leur évêque, parfois ils ne sont pas d'accord avec ce qui se fait (voir le dialogue que j'ai pu avoir avec les prêtres de la paroisse pour le baptême de Nathalie, totalement déconnecté de la réponse de l'évêque). Je crois qu'entre les systèmes réformé et catholique il y a une différence d'évolution fondamentale : le système réformé intègre directement le principe des synodes, avec débats et prise de décision collective ; tandis que les catholiques évoluent "de force", avec des comportements qui se situent à la marge, pratiqués à la base, en contournant les règles...
Quant à la "valeur ajoutée" du mariage religieux, pour moi c'est le fait qu'un mariage, contrairement à des fiançailles, n'est pas fait pour se rompre ; c'est tellement sérieux qu'on s'engage devant Dieu... C'est clairement dit dans le sacrement catholique, et pour moi (mais c'est la vision "mixte" que j'ai qui me fait dire ça, ce n'est qu'un ressenti) ce n'est pas aussi clair dans la bénédiction protestante.
Certes. Mais il faudra sans doute encore un peu de temps pour ça, j'en ai peur.Pour la 1, on parlait précisément des divorcés qui voulaient se remarier... A propos, j'ai la flemme, (et puis un peu peur de sombrer dans le cathobashing si je m'en mêle, tant le refus de la communion à ceux qui n'en sont pas dignes me paraît un contresens évangélique complet surtout dans la compréhension catholique de l'eucharistie), de suivre tout le débat sur le mariage chez les sacristains, mais vous pourrez peut-être me répondre : Qu'en est-il du conjoint d'un divorcé remarié ?
Deux extraits de notre liturgie de mariage : "Ils se sont attachés l’un à l’autre pour commencer une histoire nouvelle : celle de leur foyer. Ils marchent désormais côte à côte dans le peuple que Dieu conduit."
"N... : je veux t’aimer et vivre avec toi tout au long de notre vie, dans la foi, l’espérance et l’amour en Jésus-Christ."
Je trouve que ça dit assez clairement que pour nous, le mariage s'inscrit dans une optique de durée. Lorsque je célèbre une bénédiction nuptiale, que ce soit après un divorce ou que ce soit un premier mariage, ce n'est jamais dans l'idée que ce n'est que pour un temps. En revanche, quand je rencontre un divorcé, je ne me dis pas qu'il ne pourra plus jamais s'engager pour la vie...
Bien sûr, je ne précise pas tout cela pour dire que chez nous, c'est mieux qu'en face (en fait, sur le mariage, j'explique régulièrement que nous n'avons pas une position plus ouverte que l'Eglise catholique, mais que nous sommes tous deux cohérents avec notre vision du mariage : sacrement ou pas sacrement... Demandez moi un rebaptême et vous me verrez beaucoup moins coulant
@ Eric George : J'ai du mal aussi avec le refus de la communion... Ce d'autant plus que j'ai tendance à rapprocher cette situation de la mienne, qui n'a rien à voir mais pour laquelle on me refuse également l'Eucharistie.
Si j'ai tout bien compris, le conjoint d'un divorcé remarié se met de fait dans la même situation : il incite l'autre à l'adultère, à la rupture d'un sacrement, même s'il n'est pas à l'origine du divorce. Donc même punition. Ce qui provoque d'autant plus de souffrance... La seule solution (tentée par un grand nombre de divorcés) : faire annuler le premier mariage, procédure longue, difficile, pas forcément bien comprise par la famille, en particulier les enfants dudit mariage qui peuvent avoir l'impression d'être "reniés".
Si l'on suit l'optique de l'Eglise catholique, les divorcés ne sont pas "interdits d'engagement à vie"... N'oublions pas qu'il existe davantage de situations de célibat chez les catholiques, à commencer par celle du prêtre... Disons que le mariage est compris comme un appel, au même titre que la prêtrise. Un(e) divorcé(e) sera alors considéré comme ayant une autre vocation, un appel au célibat. Le plus difficile est d'être contraint(e) à cette situation pour la personne qui ne demande pas le divorce. Ces personnes-là, en plus de la souffrance de la séparation, auront celle de l'exclusion d'une partie des sacrements si elles se remettent en ménage.
Ce point de vue de l'Eglise catholique peut paraître extrêmement rude, dans la société actuelle. Mais certains (divorcés compris) y trouvent leur compte, une certaine droiture morale qui leur permet de reprendre un espoir dans la vie. Et comme vous le précisez, tout part de la façon de voir le mariage, sacrement ou non...
Oui mais cette question de l'engagement ne peut pas répondre à cette souffrance, une vocation au célibat oui, mais une vocation n'a rien à voir avec une contrainte par les faits...
En fait j'avais bien prêché sur le divorce et sur les petits enfants (il me semblait bien aussi). C'est là http://miettesdetheo.over-blog.com/...