Interruption de grossesse : théorie, pratique
Par Tigreek le mercredi 13 octobre 2010, 15:04 - Actualité - Lien permanent
A l'heure où l'objection de conscience fait débat, où les principes théoriques de chacun sont autant de balles jetées à la tête de l'autre dans des joutes politiques, je me trouve devant un cas des plus pratiques. Avec de nouvelles questions, de celles qui ne sont pas posées dans les assemblées...
Une amie, enceinte, a subi une amniocentèse. Cet examen faisait suite à une prise de sang[1], que l'on conseille maintenant à toute femme enceinte... Ce test, souvent proposé de manière anodine, sans explication de toutes les conséquences qui pourraient en découler, présente des résultats variables, et ne dépiste que la trisomie 21, a contrario d'une échographie qui a pour but de déceler différentes anomalies, dont un certain nombre peuvent être traitées[2].
Que d'angoisses. Peur du résultat du test sanguin, d'abord. Ce résultat est vague : une probabilité... Au dessus d'une certaine probabilité, l'amniocentèse est proposée, et même fortement conseillée[3]. Mais l'amniocentèse n'est pas sans risque... jusqu'à 2% de risque de fausse couche ! Et voilà les parents transformés en calculateurs, à peser des coefficients de risque comme des banquiers... Sauf que ce n'est pas une somme d'argent qui est en jeu, c'est la vie d'une famille...
Ensuite, si par malheur le résultat de l'amniocentèse est positif sur la trisomie, quelle décision à prendre ! Rien de moins que la vie ou la mort... Choisir de recevoir un enfant handicapé, avec toutes les conséquences que cela peut entraîner, même si la lourdeur du handicap varie beaucoup sur les différents cas de trisomie 21... Ou bien choisir une IMG[4], ce qui veut dire la mort pour le bébé, et une épreuve particulièrement difficile pour la mère... Comment peut-on en arriver à effectuer, de manière quasi-automatique, des tests qui amènent à de telles décisions ?
Dans le contexte des dicussions actuelles, il me semble indispensable de conserver l'objection de conscience, comme l'Europe l'a confirmé. J'irais même plus loin : faut-il étendre l'objection de conscience, concernant aujourd'hui l'avortement, à l'amniocentèse, ou tout autre examen de dépistage spécifique à des maladies / handicaps incurables ? D'autres que moi se sont posé la question...
Enfin, dans un contexte oecuménique, autant la position de l'Eglise catholique est claire, autant celle de l'Eglise réformée semble nettement plus frileuse : le dernier rapport sur le sujet sur le site de la FPF date de 2004... On me répondra sans doute que l'Eglise réformée attache autant d'importance à la réflexion personnelle que l'Eglise catholique à l'obéissance... Mais n'est-ce pas, parfois, éviter le débat que de le reléguer à l'histoire personnelle ? Quid de l'accompagnement des personnes qui s'interrogent sur ce sujet ?
Notes
[1] le tri-test, appelé aussi HT21, qui recherche dans le sang de la mère trois hormones présentes chez le bébé, indicatrices de trisomie
[2] Ainsi un autre ami a eu une petite fille atteinte d'une malformation cardiaque détectée in utero, opérée aussitôt après la naissance, qui serait décédée sans échographie prénatale...
[3] avec l'argument massue "c'est remboursé par la Sécu !"
[4] Interruption Médicale de Grossesse
Commentaires
"Sauf que ce n'est pas une somme d'argent qui est en jeu, c'est la vie d'une famille..."
Merci pour cette phrase : on aurait tendance à penser plutôt que c'est la vie d'un enfant, ou même, pour certains, la vie d'un embryon ou d'un fœtus (comme si cette distinction d'âge était une différence de nature) qui est en jeu. Or, c'est bien la vie d'une famille qui est souvent en jeu, ou tout au moins non seulement la vie de l'enfant, mais aussi la vie de la mère, quand cet enfant survient hors d'une famille.
C'est, en fait, la vie de toute la société qui se joue quand on joue la vie d'un de ses membres !
Merci donc d'avoir ouvert l'horizon de cet enjeu à sa juste dimension.
Permets-moi aussi de relever cette phrase : "On me répondra sans doute que l'Eglise réformée attache autant d'importance à la réflexion personnelle que l'Eglise catholique à l'obéissance..."
Pourquoi pas ? Sauf que l'obéissance, dans l'Église catholique, suppose et implique une réflexion personnelle, dont on ne peut (tout au moins si on en a les moyens !) se dispenser. "Ob-audire", obéir : l'obéissance suppose l'écoute et l'adhésion personnelle, autrement ce n'est pas encore de l'obéissance.
Je crois au contraire que l'Église catholique donne les moyens d'obéir à la vérité reconnue comme telle par l'intelligence et la conscience de chacun. Ceci n'est pas exclusif à l'Église catholique, sauf qu'elle a un magistère, c'est-à-dire un enseignement clair et donné comme tel, fondé sur la Parole de Dieu transmise par et dans l'Église, qui permet d'éclairer la raison et la conscience. Ce n'est pas forcément le cas dans les communautés ecclésiales dites protestantes...
@ Vianney : "C'est, en fait, la vie de toute la société qui se joue quand on joue la vie d'un de ses membres !"
Oui. Et la question se pose également à "l'autre bout de la chaîne" : légaliser l'euthanasie sous prétexte que les personnes âgées en ont assez de vivre ? Mais qui est-on pour prendre la place de Dieu ?!
"l'obéissance, dans l'Église catholique, suppose et implique une réflexion personnelle, dont on ne peut se dispenser."
Peut-être. Mais dans la catéchèse, c'est une différence fondamentale (dont on ne se rend pas compte étant enfant) : d'un côté, on apprend ce qui est autorisé ou pas, avant de comprendre pourquoi ; de l'autre, on pose les questions, on pousse à réfléchir aux extrêmes, avant de mettre les garde-fous.
Par ailleurs, la vision du ministère reflète cette différence : d'un côté les prêtres posent les limites, en particulier pour ne pas faire n'importe quoi avec les sacrements ; de l'autre les pasteurs ne refusent que très rarement un sacrement, même si la demande paraît peu légitime, en essayant de pousser la personne à réfléchir à son acte.
Je précise, parce que ce n'est peut-être pas évident dans mes propos : je ne dis pas qu'une façon de faire est meilleure que l'autre, je constate que pour un même résultat, les méthodes sont différentes. Du coup, le débat sur certaines questions ne peut parfois pas avoir lieu, parce qu'il ne porte pas sur les mêmes aspects...
Je ne sais pas ce que tu as reçu comme catéchèse. Ce que tu en dis ne correspond ni à ce que j'ai moi-même reçu, ni à ce que l'Église catholique propose comme catéchèse, au moins au niveau du magistère universel. C'est peut-être ce qui a été longtemps proposé aux enfants, mais je ne suis pas sûr que ce soit au niveau de ma génération ou de la tienne. Les précédentes, peut-être plus.
En fait, les notions de permis-défendu, de pur-impur, ne sont pas (ou ne devraient pas être) premières dans le christianisme. Notre morale chrétienne ne vient pas d'abord d'une loi, mais d'une relation de l'homme à Dieu, d'une relation de la créature au Créateur, d'une relation de l'homme pécheur et sauvé à son Sauveur. J'en ai touché un mot dans ma première homélie, d'ailleurs. Une catéchèse qui ne présenterait qu'une morale (qui plus est tronquée en défendu-permis !) ne serait même pas digne du nom de catéchèse.
Non, la catéchèse consiste essentiellement et d'abord à faire connaître Dieu, à le faire connaître par l'écoute et l'apprentissage de la Parole de Dieu, et à le faire rencontrer et aimer dans une relation, dans la prière personnelle, dans la célébration communautaire autour de la Parole de Dieu, dans les sacrements...
Je crois que ce que tu notes autour des sacrements et des règles autour de ceux-ci vient de ton expérience personnelle : non, les prêtres ne refusent pas si souvent un sacrement ! A vrai dire, c'est plutôt rare quant au baptême. Un peu plus courant quant à l'Eucharistie, mais cela vient précisément de la différence radicale de la compréhension que l'on a de la réalité du Saint Sacrement dans l'Église catholique et dans les communautés ecclésiales issues de la Réformation : pour l'Église catholique, le pain consacré est réellement le Corps du Christ, le vin consacré est réellement le Sang du Christ. Pas pour les protestants, pour qui le signe est bien présent, mais pas la réalité. Ce qui fait que la communion elle-même revêt un sens (et une réalité) fort différentes d'un côté ou de l'autre, et que l'accès au sacrement n'est effectivement pas le même.
A ce sujet, je crois bien connaître ton diocèse et ton évêque, et je suis assez étonné (à supposer que je ne me trompe pas de diocèse) de ce que tu dis à propos de l'accueil eucharistique... Il n'est pas question pour moi d'en discuter en public, ni même d'ailleurs par courriels interposés, mais l'idée d'en parler IRL m'intéresserait beaucoup... Tu peux répondre, si tu le souhaites, à l'adresse e-mail que je laisse dans la case réservée à cet usage
@ Vianney : cet espace de commentaires de blog n'est pas forcément le lieu pour entrer en polémique sur le vécu et l'idéal de chacun en terme de catéchisme et de sacrement... Les prêtres ne refusent pas si souvent un sacrement, non, c'était un exemple, certes à la limite de la caricature, mais je t'assure avoir fréquenté suffisamment de foyers mixtes pour avoir une certaine expérience de toutes les horreurs qu'on peut entendre d'une confession sur l'autre.
Comme je l'ai dit, je ne veux pas juger, et je m'excuse si ce que je dis semble être un parti pris, je donne une observation. Certains réformés pensent que l'Eglise catholique est tellement autoritaire qu'elle en est mortifère ; certains catholiques pensent que l'Eglise réformée est à ce point inexistante que chaque protestant peut faire n'importe quoi n'importe comment... Je ne crois pas être dans ce cas. Malgré tout ce que je peux en dire, j'aime mes Eglises
Oui, tu connais bien mon diocèse, et non tu ne te trompes pas
Une rencontre IRL ? Ce serait avec joie 
Je n'ai nullement l'intention de polémiquer, et encore moins sur un vécu, quel qu'il soit !
Je pars simplement de ce que tu présentes comme vécu, et présente mon point de vue (qui rejoint souvent, étonnamment, ce que propose l'Église catholique, simplement parce que c'est ce que je crois et essaie de vivre) à partir de là. Je ne nie ni ne conteste nullement ce que tu as vécu, et ton point de vue, comme en grand écart entre ces deux traditions chrétiennes, m'intéresse vivement... c'est d'ailleurs pour cela que je te lis et commente
Je n'ai vu de ta part aucun jugement, aucun parti pris contre qui que ce soit. J'espère que tu n'en as pas lu non plus chez moi ! Ce n'était pas mon but en tous cas...
Pour l'IRL, c'est quand tu veux, avec qui tu veux (comme, par exemple, ton cher mari et tes non moins chers enfants), et où tu veux !
En tant que futur infirmier je pense beaucoup à l'approche de notre société sur l'embryon en ce moment.
Sur le blog des Sacritains vous avez posté ce commentaire : "Il y a quelques temps, le Chafouin disait dans un de ses billets : "quand un médecin pratique une IVG, c'est légal et même parfois encouragé. Quand une mère tue son nourrisson, c'est un crime des plus abominables". Je trouve que cette comparaison donne un bon aperçu de la schizophrénie de la société dans laquelle on vit..."
Schizophrénie... vous résumez bien ma pensée.
@ Olivier C : et cela m'est régulièrement confirmé...
Cela paraît aussi "normal" même si c'est dramatique, d'avoir recours à une interruption de grossesse, que monstrueux d'éliminer un bébé.
Quand j'entends des gens réclamer la prison à vie (ou pire) pour des mamans qui sont jugées pour homicide, alors que les mêmes trouvent ça logique de ne pas enfanter un trisomique, je me dis que nous autres chrétiens avons fort à faire pour proclamer le message d'amour du Christ et la miséricorde de Dieu...
"et ne dépiste que la trisomie 21": non, l'amniocentèse dépiste toute anomalie chromosomique, entre autres les trisomies 13 et 18 (on peut légitimement vouloir poursuivre sa grossesse dans le premier cas mais pas dans les deux autres). D'autre part, si le risque d'anomalie est très important on peut vouloir avoir une certitude, non pas pour décider d'interrompre la grossesse mais pour avoir le temps de se préparer, de contacter des spécialistes, des associations, d'autres parents, bref pour avoir le sentiment de ne pas attendre passivement, seul et dans l'angoisse). Cela reste une décision difficile, bien entendu, compte tenu du risque faible mais non négligeable de faire une fausse couche.
Sinon, pas besoin d'objection de conscience pour refuser l'amniocentèse, elle n'est JAMAIS obligatoire (seulement recommandée quand le risque intégré est supérieur à 1/250).
@ Marie T : Merci pour ces précisions. Il est vrai que l'amniocentèse permet une analyse complète, ce que ne permet pas (et de loin) le HT21.
Quant à refuser l'amniocentèse, je sais qu'on peut toujours. Mais le "processus de décision" est ainsi fait que le refus semble difficile.