Non communion
Par Tigreek le lundi 03 juin 2013, 16:35 - Oecuménisme au quotidien - Lien permanent
Note préliminaire : oui, ceci est le deuxième billet, sur le même sujet, coup sur coup. Le précédent était davantage un billet d'humeur. Parce qu'une heure d'adoration en union de prière mondiale, bien sûr c'est magnifique. Mais avec le contexte que j'ai pris en pleine figure samedi, et que je vais tenter d'expliquer dans le présent article, c'était très dur de me trouver en décalage, bien malgré moi.
Cela fait quelques années maintenant qu'il m'arrive, parfois, d'officier pour des cultes. J'ai eu cette chance, depuis le début de mes études de théologie, d'avoir tout à la fois une paroisse[1] particulièrement accueillante et une pasteur qui a confiance, et nous donne confiance.
D'ici quelques semaines, la paroisse sera sans pasteur, pour une année de vacance[2]. Je suis, avec d'autres, dans le panel des prédicateurs laïcs, et nous avons déjà préparé le planning pour les quelques mois à venir.
Mon prochain culte est prévu le 14 juillet. Comme à chaque fois que j'ai cette chance, j'essaie de transformer cette célébration en nouvelle occasion de fête oecuménique... J'invite des amis catholiques[3], je lance quelques petites provocations, toujours avec le sourire : "Tiens, c'est moi qui prêche ce jour là... Ca t'intéresse ?"... Je tends mes petites perches dans l'espoir de créer de nouvelles passerelles, susciter des questions, des sourires, des louanges, de l'ouverture d'esprit, peut-être même des graines d'oecuménisme.
Cette fois, la formule change un peu. Le 14 juillet, c'est le deuxième dimanche du mois. Les deuxièmes et quatrièmes dimanches, ce sont des cultes avec Sainte Cène. Pour moi, cela prend une consonnance spéciale. Ce sera la seconde fois seulement ! Et à mon tour, partager le pain pour l'assemblée, offrir le vin, communier... Quelle joie ! Quelle fête !
Alors, comme chaque fois, j'invite. En précisant la Sainte Cène. Et que, selon la formule traditionnelle, "tous ceux qui reconnaissent Jésus Christ comme le Seigneur" sont invités à la table... Etonnement et joie pour la plupart, qui se réjouissent à l'avance... Et une réponse négative :
"- Tu sais que je ne pourrai pas participer..." La voix s'est faite un peu triste dans le combiné.
"- Hein ?!? Pourquoi ?!" Mais à la seconde où je pose la question, je connais déjà la réponse. L'Eglise catholique romaine demande à ses fidèles de ne pas communier à la Sainte Cène, pour éviter la confusion avec une communion pleine et entière, dans les canons de l'Eglise[4].
Je tente d'argumenter, qu'on se connaît, qu'il n'y aura pas de risque de confusion ni pour les gens présents, ni pour moi, que ce fichu principe de précaution n'a pas lieu d'être, pour une fois ! C'est peine perdue. Le devoir d'obéissance dans toute sa splendeur. Mon esprit n'est plus à la fête, seulement la séparation.
Pour moi, c'est une nouvelle déchirure. Une révélation : non seulement l'accueil eucharistique est de moins en moins possible pour les protestants, mais en plus, pour des catholiques respectueux du droit canon, l'accueil à la Sainte Cène n'est pas possible non plus ! Malgré tous les efforts d'ouverture et de pédagogie, c'est toujours une fin de non-recevoir. Là, je pense que beaucoup comprendront quand je dis que l'Eglise catholique romaine paraît vraiment méprisante ou orgueilleuse, au choix, vis-à-vis de ses partenaires dans l'oecuménisme...
J'en profite pour poser officiellement la question à mes lecteurs ayant quelques compétences en droit canonique : de même qu'on peut demander un accueil eucharistique à l'évêque de manière exceptionnelle, peut-on demander une dérogation pour un accès à la Sainte Cène ? Est-ce prévu quelque part en droit canonique ou je mets encore les pieds là où je ne devrais pas ? Faut-il que je travaille Unitatis Redintegratio[5] dans tous les sens pour en trouver une interprétation qui convienne ?
En fait ces journées à la con, ça te fait te sentir vivant,
ça me fait écrire des textes bien écorchés comme avant...
Grand Corps Malade, Jour de doute
Edit du 05 juin : j'ai ajouté le lien vers l'encyclique de 2003 exprimant la demande faite aux catholiques de ne pas communier hors de l'Eglise Catholique Romaine.
Merci au pasteur Pernot de l'Oratoire, et à son blog très précis sur la question.
Notes
[1] Je parle de la paroisse protestante ; je fréquente tout aussi assidûment la paroisse catholique, mais mes limitations y sont autrement plus importantes...
[2] Il n'y a pas de faute d'orthographe, c'est bien une vacance pastorale, et je vous prie de croire que ce sera loin d'être des vacances !
[4] Le texte exact est : "Les fidèles catholiques, tout en respectant les convictions religieuses de leurs frères séparés, doivent donc s'abstenir de participer à la communion distribuée dans leurs célébrations, afin de ne pas entretenir une ambiguïté sur la nature de l'Eucharistie et, par conséquent, manquer au devoir de témoigner avec clarté de la vérité." Ecclesia de Eucharistia, §30
[5] Texte de Vatican II concernant plus particulièrement l'oecuménisme, NDA
Commentaires
Bonjour,
Je suis arrivée sur votre blog par la revue de presse de Lemessin.
Je suis très sensible à vos deux articles au sujet du problème de la communion - sainte Cène. Je comprends à quel point vous puissiez vous sentir blessé.
Je suis moi-même catholique pratiquante, mais sensible au plus haut point au problème de la lenteur du rapprochement oecuménique.
Je savais que les protestants n'étaient pas admis à l'eucharistie catholique en raison de leur non croyance en la présence réelle par transsubstantiation (j'y crois personnellement profondément). Mais j'admets que les lourdeurs pour y participer occasionnellement soient blessantes pour vous.
Quant à ne pas participer à la sainte Cène dans un culte protestant ou évangélique, je trouve cela injustifié. Prendre le pain dans l'amour du Seigneur avec nos frères chrétiens devrait être un geste naturel et unifiant. Par le passé, je l'ai fait, ignorant cette contrainte de l'Eglise catholique.
Je peux comprendre votre sentiment d'injustice Tigreek, d'autant plus que je vois souvent des catholiques communier indignement, sans avoir vraiment la foi en l'acte qu'ils posent. J'appelle de tous mes voeux des événements décisifs qui rapprocheront catholiques et protestants. Je serais ravie de vous accueillir sur mon site internet et sur le forum, créé avec quelques amis, qui y est rattaché :
http://forum.histoiredunefoi.fr/
Il y a largement de quoi débattre !
Cordialement,
Véronique Belen
tu m'en apprends une... je croyais que c'était seulement les non-cathos qui n'osaient pas prendre la communion chez les cathos à cause de la compréhension différente... après discussion avec le prêtre je peux prendre la communion chez les catholiques, mais dans ces conditions je ne sais si je le veux. mais je sais que dans la paroisse de mes beaux-parents il y avait toujours l’accueil eucharistique et le prêtre s'est taper sur les doigts grave pour que cette collaboration chaleureuse œcuménique cesse... je ne savais pas que les catholiques n'avaient pas le droit... que c'est triste.
faites ceci en mémoire de moi... et ne faites pas de table de communion un mur de séparation...
@femmetoutterrain : de retour de congés, je ne réponds que maintenant...
Peu de gens sont au fait de cette question, on entend tout et son contraire, depuis les plus extrêmes préjugés jusqu'à des positions assez osées et délicates de la part de certains prêtres.
Cela montre finalement l'importance de ce sacrement, le coeur de la foi chrétienne, de quelque confession qu'elle soit, et notre limite à nous accepter mutuellement dans la façon dont nous célébrons. C'est tout notre rapport au sacré qui est mis en jeu, sans parler d'une approche de la Vérité, libérale et laissée à l'appréciation personnelle dans la vision protestante, et bien davantage institutionnelle et cadrée dans la vision catholique... Ceci dit sans aucun jugement de ma part, c'est un simple constat.
Le grand danger dans ce genre de discussion, est la tentation de jeter le bébé avec l'eau du bain... Je ne pense pas qu'il faille faire de l'accueil eucharistique systématiquement, en oubliant pour qui, pourquoi on le fait... ou pas. Mais nuancer les propos, expliquer, inviter à découvrir la richesse d'une transsubstantiation, ou au contraire la force fraternelle d'une sainte Cène... Ce serait tellement plus riche que prendre une position de principe !
"On ne souffre que de ses limites", a l'habitude de dire un ami. A bon entendeur...
Bonjour.
Suis arrivé là par hasard. Je suis catholique.
En réponse à votre question, le code de droit canonique en vigueur, celui promulgué par Jean-Paul 2 en 1983, prévoit que l'on ne peut assister à un culte autre que les cultes catholiques, qu'avec la permission de l'ordinaire du lieu (comprendre l'évêque).
Il suffit à un catholique de la demander.
Car s'il ne la demande pas il ne risque pas de l'obtenir.
Pour le reste, si l'évêque est souvent difficile à joindre, en revanche je ne pense pas que cette dérogation soit difficile à obtenir.
Cependant, il me semble nécessaire de se plier aux rêgles en vigueur, car je ne sais plus quel grand homme de religion a dit un jour :
"l'obéissance est la discipline de l'intelligence"
Et l'intelligence sans discipline, qui s’exalte pour elle-même, c'est l'orgueil, la faute irrémissible, la faute de Satan : celle qui empêche de demander pardon, par aveuglement.... de l'intelligence
Bonne continuation.