Tranches de vie

Des vies croisées, des moments partagés, de la surprise, du beau, des petits riens, des perles, des rires...

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jeudi 28 octobre 2010

Comme un battement de coeur

Le rouge, habituellement, c'est la couleur du danger. C'est naturel, universel, des animaux les plus simples jusqu'aux plus intelligents d'entre nous... Attention, stop. Danger. Douleur. Problème... C'est avec cette notion d'alerte que mon oeil a perçu une lueur écarlate à une fenêtre du bâtiment, face à moi.

Le temps d'identifier le reflet, celui d'un signal de hauteur d'une grue, sur un chantier proche, et toute appréhension a disparu. C'est juste un témoin. Un signal, pour exprimer la présence de quelque chose de plus grand que la normale. Du reste, le quartier de la Défense en est plein de ces signaux, comme une forêt d'un nouveau genre, un foisonnement particulier...

Un témoin. Rouge.
Comme celui qui reste présent, en permanence, dans les églises. Même lorsque tout est éteint, quand la porte s'est refermée sur les derniers fidèles du soir... lumière pour dire que Dieu est là, toujours.

Du tabernacle au sommet des tours, même message ?

mardi 26 octobre 2010

Pression matinale

Dans la jungle urbaine, le jour n'est pas encore levé. Le froid mordant du petit matin s'ajoute à la lueur blafarde du ciel pour miner le moral des troupes, en route vers leur lieu de travail.

Casque sur (ou dans) les oreilles ou livre à la main, emmitoufflé avec soin, chacun a sa stratégie pour tuer le temps, prenant son mal en patience sur le quai gris et balayé de rafales de vent. De temps en temps, les yeux se lèvent pour consulter l'heure, et les minutes restantes à attendre le prochain train... Soudain, l'affichage se modifie, annonçant un retard du prochain transport.

C'est une véritable guerre psychologique. Pas de bruit, pas de sang, pas de coup de feu. Tout se passe en silence. Chaque guerrier est solitaire dans son but mais tous sont solidaires dans l'action : il faut que le train arrive. Les chiffres défilent, blancs sur fond bleu, et chaque changement marque un point dans le combat : une minute de plus, et la pression monte, les souffles sont retenus, les exclamations de colère à peine étouffées. Une minute de moins, c'est un soupir de soulagement, le regard plus clair, les mouvements de tête qui se font plus détendus.

Jusqu'à ce que la ligne sur l'écran clignote : le train a passé le capteur de proximité. Alors ces soldats de quelques minutes s'alignent, docilement, sur le bord du quai. La rame s'immobilise, les groupes se pressent contre les portes, entrent. En quelques secondes tout le monde est entré. Une victoire assurée, la journée s'annonce belle.

vendredi 10 septembre 2010

Rêves à la pelle

Arthur a douze ans. Il aime bien ce chiffre, et il y pense tout particulièrement pendant ces séances d'aumônerie, quand on lui parle des histoires de la Bible. Il le trouve joli, élégant, juste bien : douze ans comme les douze apôtres, comme les douze pierres précieuses sur la poitrine du sanhédrin, comme les douze tribus d'Israël, le peuple élu !

Le brouhaha ambiant le sort de sa rêverie. Les petits groupes se rassemblent. Ils ne sont plus aussi nombreux que l'an dernier, car beaucoup de ses camarades ont cessé de venir après la "grande communion". Il n'a pas trop compris pourquoi. Il se souvient qu'il a été un peu dégoûté quand il voyait la convoitise dans les yeux de certains, se vantant de la montre flambant neuve qu'ils allaient avoir à cette occasion. Il avait bien aimé faire la fête avec sa famille, il était fier de pouvoir dire sa foi en Dieu comme un adulte.

Avant le temps de prière, devant le mur où les petits groupes ont rassemblé le fruit de leur étude d'aujourd'hui, Serge, l'aumônier, parle de la journée des vocations. C'est quoi, une vocation ? S'engager pour Dieu, toute la vie. Devenir prêtre ou sœur. Prêtre... Il ne sait pas trop pourquoi, mais ça parle au cœur d'Arthur. Il a toujours admiré le calme de Serge, la paix qu'il semble diffuser autour de lui, et sa capacité à obtenir le silence de toute cette bande de jeunes excités, sans même hausser le ton. Et puis il y a la messe. Il ne sait pas dire pourquoi ni comment, mais Arthur est bouleversé quand il voit le prêtre élever le pain et le vin. Même quand c'est "Purée de Patate" qui officie, le vieux curé à moitié ivrogne de sa paroisse de campagne.

Serge explique, de sa voix toujours posée, que certains parmi eux seront peut-être appelés par Dieu, et qu'on peut prier pour que "les ouvriers soient nombreux pour la moisson". Arthur ne sait pas trop bien prier, mais il essaie. Il ose à peine penser qu'il aimerait bien devenir prêtre. Cette idée lui paraît terriblement ambitieuse, loin de l'humilité dont on parle dans la Bible, il n'est pas sûr d'être assez doué. Maman serait sans doute fâchée, elle est protestante, et Papa n'apprécierait pas non plus, il aimerait bien que quelqu'un reprenne la ferme, un jour. Arthur rêve : à genoux dans son aube, on lui pose les mains sur la tête. Plus tard, il apprendra que ce geste se fait lors de l'ordination.

Mais voilà : Arthur ne sera jamais prêtre. Il n'existe que dans la tête d'une fille de son âge, qui se demande si c'est très mal d'avoir imaginé, un instant, être un garçon, pour pouvoir entrer au séminaire un jour.

mardi 17 août 2010

La force d'un bébé

Métro parisien, ligne 13, vers le Nord, en fin de journée. La rame se dirige vers les banlieues aux noms, disons, lourds de sens : Saint Denis, Gennevilliers... Saint Denis ne signifie plus la cathédrale des rois de France, mais le symbole des "cités". Les gens sont bigarrés, divers comme peuvent l'être des passagers du métro, depuis l'ado rebelle jusqu'au cadre en costume, en passant par les jeans-pulls passe partout.

Une station, quelque part entre Montparnasse et Saint-Lazare. Les portes s'ouvrent, les voyageurs montent ou descendent, chacun suivant son propre chemin, concentré sur sa destination. Peu avant le signal sonore, un homme entre : il détonne clairement sur le reste de la population... Âgé, son seul maintien suffirait à le distinguer des autres. Il se tient très droit, "raide comme la justice", dit l'expression, dans ses souliers vernis. Très mince, il se veut impeccable dans son costume noir à fines rayures, pochette élégamment glissée dans la poche de sa veste boutonnée. Fin du fin, les boutons de manchettes brillent, tout comme l'épingle de cravate[1]. Toujours droit, il garde le regard haut, même lorsqu'il s'agit de s'accrocher fermement d'une main pour rester stable dans les soubresauts du train lancé à vive allure.

Nathalie, presque quatre ans, a du mal à rester en place. Elle a déjà supporté trois heures de voyage en TGV, est impatiente de rentrer à la maison... Pour passer le temps, elle approche de sa petite sœur, six mois, posée à même le sol du wagon dans son Cosi[2]. Elle lui parle, lui donne son jouet, fait le clown. Effet réussi : la petite éclate de rire. Surpris, les yeux de l'homme se baissent, voient le bébé... Un sourire se dessine, l'espace d'un instant, l'homme et le bébé partagent la même joie. Ce simple sourire transforme le voyageur : un cœur semble avoir émergé du robot policé par les règles de conduite.

Station Champs Elysées-Clémenceau. Le sourire a disparu, il descend. J'espère qu'il se souviendra, de temps en temps, du rire d'un bébé...

Petit bonhomme, j'aime entendre ce rire !
- Justement, ce sera mon cadeau...
Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince

Notes

[1] Était-ce réellement une épingle de cravate d'ailleurs ? Je n'ai jamais vu cet accessoire auparavant, quelque chose qui tient les deux rabats du col de chemise, passant sous le nœud de la cravate...

[2] NDLR, pour ceux qui ne sont pas parents : coque protectrice destinée au transport d'un bébé, notamment en voiture

samedi 07 août 2010

Rencontre nocturne

Un soir d'été en banlieue parisienne. L'air a fraîchi, le mois d'août approche et l'exode temporaire en des lieux de villégiature a vidé la ville d'une partie de ses habitants. La nuit est calme, même la lumière des lampadaires semble plus faible qu'à l'ordinaire, ne laissant deviner que des ombres.

Au guidon de mon vélo, je me glisse dans les rues figées, entre les voitures assoupies et les trottoirs vides. Rien ne bouge... Tiens, si : là, à quelques pas, une forme traverse la chaussée. Trop petit pour être un chat, trop trapu aussi... Un rat ? Cela ne me semble pas la bonne démarche. Et puis, un rat se déplace plutôt rapidement... et en souterrain davantage qu'à la surface. Pas le temps de l'identifier, le petit animal a déjà traversé la chaussée pour se faufiler dans une propriété.

Lorsque j'arrive à sa hauteur, j'ai juste le temps de l'apercevoir, avant qu'il ne se cache dans un buisson derrière le portail. Oh surprise ! Un museau pointu, un corps trapu, des piquants gris aux bouts blanchis : c'est un hérisson qui commence sa nuit...

mercredi 21 juillet 2010

Orage

Le vent arrive le premier. Il amène les nuages, obscurcissant le ciel où régnait jusque là un soleil de plomb. Les portes claquent, le ligne s'agite sur son fil, des nuages de poussière se soulèvent de la cour de ferme habituellement parcourue par les tracteurs. C'est le signe de la mise aux abris : on rentre le linge, ferme les portes, débranche les appareils électriques sensibles, attache tout ce qui peut s'envoler. Dans les prés, les vaches se rassemblent et commencent à se diriger vers le couvert : le plus souvent, les arbres faisant la bordure de leur pâture.

La lumière baisse davantage. L'horizon noircit, se réduit : la grisaille masque les lointaines collines. Le vent s'intensifie, les éclairs déchirent le ciel, précédant le roulement fracassant du tonnerre. La foudre frappe, de plus en plus près : les roulements de tambour céleste se font plus intenses et rapprochés. De l'intérieur, on voit les constructions résister aux éléments, on croit qu'elles vont céder, mais il n'en est rien.

Puis les nuages craquent. L'eau tombe, à grosses gouttes. Mieux vaut être à l'abri ! D'ailleurs, ni homme ni bête ne reste dehors. Tiens, si, les hirondelles, même secouées par les bourrasques, se nourrissent des insectes ballottés par les masses d'air. Elles rejoindront leurs nids à la dernière minute.

Cela semble durer quelques minutes à chaque fois. En fait, les salves de pluie vont s'enchaîner pendant plusieurs heures. Entre deux, le calme revient. L'air s'est rafraîchi, le vent est tombé, les hirondelles ressortent, les rideaux de pluie qui voilaient le paysage s'estompent... Et Marion, cinq mois, qui n'a pas bronché pendant le raffut, paisible au coeur de sa sieste, se réveille dans le silence revenu.

Enfin les nuages s'affinent, le soleil refait son apparition. Les bourdonnements lointains des moteurs de voitures ont remplacé dans l'air les vrombissements des coups de tonnerre. L'horizon est clair, l'air comme plus pur, rempli de cette odeur d'herbe mouillée qui m'évoque la propreté, la fraîcheur... La journée peut recommencer.

mardi 08 juin 2010

Double face

17h. C'est la sortie des classes, en particulier d'un collège voisin. En balade avec ma fille, je suis sur le chemin du retour. Moment un peu électrique, les ados sortent et ont tendance à s'exprimer plus librement que dans le collège. C'est aussi dangereux : les parents en voiture se garent où ils peuvent, les ados traversent où ils le souhaitent, débordent des trottoirs...

Je croise les jeunes par groupes, certains sont surpris de me voir porter ma fille, face au monde. Leurs réactions traduisent leur âge : encore l'innocence de l'enfance dans leur étonnement, et déjà le jugement de l'adulte dans les commentaires qu'ils en font. Marion, elle, est heureuse de voir autant d'activité...

De loin, je repère une silhouette familière. Les cheveux blonds tombant dans les yeux, le t-shirt un peu large, sombre de préférence, il ne dépare pas de son groupe. Lui aussi semble avoir reconnu ma démarche particulière, et son regard devient tout à coup un peu gêné. On se croise, échange un "bonjour" à mi-voix. Rien de plus.

Et, il y a deux semaines, il était fier de terminer son caté ! Avec les autres confirmands, il a exprimé sa foi, avant de s'entendre dire "baptisé dans la paroisse de ton père, tu es confirmé dans la paroisse de ta mère...". il a été accueilli comme un adulte dans la foi par toute la communauté, réunie ce jour-là en plein air car le temple était trop petit !

L'adolescence est un âge de paradoxes... Dur, dur d'être fils de pasteurs !

mercredi 02 juin 2010

L'événement du jour

Quand la fatigue prend le pas sur l'enthousiasme,
quand la monotonie de la routine pèse,
il suffit d'un petit rien pour reprendre espoir, pour retrouver la joie...

A la maison, de façon classique,
ou plus insolite dans le cabinet d'un médecin,
c'est là qu'elle a choisi de faire son progrès du jour...

Une main, un pied, une rencontre,
de minuscules orteils qui croisent d'aussi minuscules doigts,
un éclat de rire quand elle s'est rendue compte des nouvelles possibilités ouvertes !

Un coup d'œil à sa sœur,
un peu comme pour dire :
"T'as vu, hein, c'est chouette ce que je viens de trouver là !".

La grande sœur qui accompagne le rire
et traduit pour les parents : "Oh, regarde, elle a pris son pied !".
Rire général devant le double sens de l'expression...

Merci mes puces, merci mon Dieu pour cet éclat de soleil dans ma journée :)

lundi 29 mars 2010

L'importance du contexte !

En rentrant ce soir à la maison, ma fille me demande de l'eau. "Un g'aaaaaand ve'e, j'ai t'ès t'ès soif !" me précise-t-elle. Je dépose sa petite soeur, me dirige vers la cuisine et m'apprête à lui servir un grand verre d'eau, mais pendant ce temps, elle a ouvert le placard où sont rangés les verres... Et me dit, avec un sourire jusqu'aux oreilles "Dans la tasse avec Bou'iquet !", me tendant ladite tasse... Je n'ai pu m'empêcher de rire. C'est certainement bien meilleur de boire dans une jolie tasse que dans un bête verre, fut-il grand !

Suite de soirée, appel de ma grand-mère en détresse sur son ordinateur. Elle ne parvient pas à lire ses mails, malgré mes instructions qu'elle a soigneusement notées lors de mon dernier cours. La description qu'elle me fait de son écran me donne des indications suffisantes pour que j'imagine le point épineux. Je lui précise alors où cliquer pour afficher le message voulu.
"Je clique à gauche ?" me demande-t-elle.
- Oui, le bouton gauche.
Mais le résultat n'est pas vraiment celui attendu : c'est le résultat d'un clic droit de la souris. Je pense à une mauvaise manipulation d'une personne débutante (à 82 ans, elle est en droit d'avoir quelques hésitations !), et insiste sur le fait de cliquer avec le bouton gauche... Même punition. C'est alors que l'explication me vient en tête, c'est un peu gros mais...
- Dis-moi, le fil de la souris, il est dirigé vers le haut ou vers toi ?
- Vers moi, pourquoi ?
- OK, alors tu retournes la souris, tu mets le fil vers le "haut", et tu vas cliquer avec le vrai bouton gauche...
Bizarrement, sa souris fonctionnait mieux, elle m'avait dit un peu plus tôt avoir des difficultés à "amener la flèche en haut à droite"...

dimanche 24 janvier 2010

... détresse à ma porte.

Robert faisait partie de l'administration, lorsque le Zaïre ne s'appelait pas encore République Démocratique (!) du Congo. Il gagnait plutôt bien sa vie, et avait mis en place une formation pour hôtesses de l'air et stewarts, une des rares du pays. Oui, mais voilà : il faisait partie du régime mis en place sous Mobutu. Lorsque celui-ci a été destitué, Robert a été emprisonné, torturé pour qu'il dise où se trouvait la fortune amassée par l'ancien dictateur. Comment pouvait-il le savoir ? Un jour, il ne sait comment, il a réussi à s'échapper de sa prison. De là, il parvint à s'embarquer pour la France, où il demanda l'asile. Seul. Plus de femme, d'enfant, impossible d'avoir des nouvelles. Depuis, selon toutes probabilités et le peu d'informations qu'il peut glaner, sa femme est décédée, certains de ses enfants ont pu s'installer. Le peu de revenu qu'il touche, il le partage avec ceux dont il a gardé contact "au pays" ; pour vivre, lui se contente d'une toute petite chambre de moins de 10m² dans un foyer.

Alors, il y a une semaine, quand Robert a eu un malaise, c'est la goutte qui a fait déborder le vase. Le malaise, ce n'est pas très grave ; le problème, c'est qu'il se trouvait dans un escalator. Une mauvaise chute qui lui a fracassé la mâchoire. Évidemment, il n'a pas de Sécurité Sociale. Jusqu'il y a quelque temps, il bénéficiait de la CMU ; ce n'est plus le cas depuis qu'il a l'âge d'être en retraite : changement de statut, difficultés administratives, problème de traitement du dossier par l'assistante sociale... Par trois fois, il a été opéré ; il n'ose plus se montrer en communauté, car il est défiguré. La souffrance, les complications administratives, ses conditions de vie, tout cela lui sape grandement le moral. Que faire ? La paroisse mobilise ses compétences, mais cela prend du temps, et les solutions sont loin d'être faciles à trouver...

Je ne connaissais pas beaucoup plus Jean-Paul que je ne connais Robert. Cela faisait plus de trente ans qu'il était dans la paroisse réformée, alors que je ne suis là que depuis dix-huit mois... Comme beaucoup d'hommes, il était plutôt secret ; il agissait davantage qu'il ne parlait. Mais ses yeux pétillaient et il avait toujours le sourire, une façon de dire bonjour qui donnait envie de rire et de discuter... Il a fait partie des instances dirigeantes des scouts unionistes ; du conseil presbytéral ; il était prédicateur laïc et il aimait ça. Depuis quelque temps il avait ralenti son activité : son coeur fatigué ne lui permettait plus d'en faire autant qu'avant. Cependant, s'il souffrait, il en montrait le moins possible, y compris à sa femme ou à ses enfants.

Et ce fut foudroyant : lorsque, ne pouvant plus cacher son état, il fut admis aux urgences, il succombait quelques heures plus tard à un arrêt cardiaque. Sa femme, ses enfants, mais aussi l'ensemble de la communauté est sous le choc. C'est toujours brutal, de voir une vie s'arrêter ainsi en chemin. On n'ose pas croire à la mauvaise nouvelle, on se dit qu'on l'a vu la veille ou deux jours auparavant, tout allait bien, c'est impossible... Et pourtant. Le vide est là. Froid. Pesant. Mais aussi signe de résurrection : n'est ce pas l'image du tombeau vide qui annonce la joie de Pâques ? A Dieu, Jean-Paul. De là-haut, prie pour qu'on ait le courage de continuer tes actions !

mardi 19 janvier 2010

Un sourire dans la détresse

Un après-midi de semaine, dans le wagon d'un RER. Le temps fait sa grise mine à l'extérieur, et les voyageurs ne sont pas mécontents de trouver un peu de chaleur lorsque le train arrive.

Alors que le RER quitte la station, une voix s'élève : "Je n'ai pas d'enfant, ma femme m'a quitté pour mon meilleur ami, voilà vous savez tout !". Tiens... Cela ne sonne pas comme la quémande habituelle, décrivant toutes les détresses possibles, réelles ou imaginaires ! Il continue : "vous vous doutez bien que lorsque quelqu'un vous adresse la parole dans les transports, ça n'est pas pour vous demander l'heure ou vous la donner, ça se saurait... Eh non, je viens pour vous so-lli-ci-ter !". Voilà qui est plein de franchise, et dit avec humour... Puis, toujours dans l'honnêteté et les clins d'oeil : "ceux qui peuvent jouent de la musique ; la guitare c'est pas vraiment dans mes cordes, les miennes sont vocales et je sais m'en servir"...

S'ensuit un court discours sur "l'ancienne République et la nouvelle" et leurs devises "dans le temps, c'était Travail, Famille, Patrie : avoir un travail, construire une famille, défendre la patrie ; (...) aujourd'hui, Liberté, Egalité, Fraternité : la liberté n'est égale qu'à la longueur de la corde qui vous unit à votre famille, l'égalité, vous savez bien que ça n'existe pas... Ne reste que la fraternité...". Lorsqu'il termine, avec une telle gouaille qu'il emmènerait du monde à une élection, j'ai un sourire d'une oreille à l'autre. Qui aurait dit que cet homme illuminerait mon trajet ?

Lorsqu'il passe à mes côtés, dans un sourire je lui glisse "Joli discours !". Ce n'est qu'alors que je remarque son bras plâtré, son chapeau enfoncé sur un visage sans âge... Bonne chance, l'ami !

dimanche 15 novembre 2009

Changer ses habitudes...

Dimanche midi, dans une rame de métro, quelque part entre Saint-Lazare et Montparnasse. Les parisiens se croisent et ne se regardent pas, comme d'habitude. Les ados désœuvrés sillonnant la capitale en quête de loisir croisent les familles sur leur trente-et-un, se rendant à une invitation d'amis ou de proches...

Parents et enfant, nous nous rendons au restaurant, pour un repas familial avant que mon beau-père ne reparte pour deux mois en Chine. Le trajet est assez monotone, les tunnels suivent les stations et se ressemblent. La faim commence à aiguiser nos estomacs...

Une femme monte dans la rame et d'une voix claire, avec un accent étranger, commence un discours assez connu : "Bonjour Messieurs, Mesdames, 'scusez moi de vous dérange...". De ma place, je lui tourne le dos, n'entends que le début de la phrase avant de penser avec les clichés que j'ai en tête, "Ca y est, elle va nous dire qu'elle est à la rue, qu'elle a deux enfants en bas âge, etc." Machinalement je fouille pour trouver quelques pièces à lui donner...

Surprise ! Alors que je n'ai pas entendu (ou plutôt pas écouté) la fin de sa phrase, je l'entends entonner... l'Ave Maria de Schubert ! Sans boîte à rythmes, comme le font généralement ceux qui s'essaient à produire de la musique dans le métro... Non, sans artifice, a capella, d'une voix maîtrisée, puissante, sur un ton très juste, avec le respect presque parfait du rythme, le latin des paroles bien plus assuré que les mots hésitants avec lesquels elle se présentait maladroitement...

Je ne me retourne pas, ferme les yeux, écoute ce chant, me laisse prendre par la présence de cette voix, m'imagine aisément dans une église plutôt que dans une rame de métro... Elle termine, le brouhaha habituel reprend ses droits, et dans un contraste saisissant, la chanteuse, dans un français mal assimilé, reprend : "Merci, 'scusez moi de vous dérange, bon voyage...". Alors qu'elle passe à ma hauteur, je m'accorde de lever les yeux. Elle est jeune, habillée sobrement et élégamment. J'ai presque honte de lui laisser ma menue monnaie, maigre récompense pour les quelques minutes de paix qu'elle nous a offertes...

Merci à toi, demoiselle, pour cette belle leçon de vie, de foi, d'espérance !

samedi 24 octobre 2009

Comme un vide

"Veillez, car vous ne connaissez ni le jour, ni l'heure." (Matthieu 25, 13)

Nous n'avons pas dû veiller assez, Thibaut, puisqu'aujourd'hui tu es parti, sans que nous ayons eu le temps de te dire au revoir... Quand je dis "nous", c'est la bande de copains que nous étions, dans notre promotion d'élèves ingénieurs, autour de toi...

Timide ? Secret ? Renfermé ? Tant de mots qui traduisent une apparence mais ne sont pas exacts pour exprimer ton mal-être. Tu as évolué dans une famille, un milieu où le secret est la règle, où les convenances s'apprennent mais ne se disent pas, où les sentiments ne s'expriment pas. Hypersensible, tu as appris à cacher tes déceptions, masquer tes blessures, mesurer ta joie, réfréner tes colères, ne pas poser de questions.

Tu savais être brillant. Mais tu manquais terriblement de confiance en toi. Tu cherchais la perfection, sans doute parce qu'on t'avait appris que "quand on fait quelque chose, on le fait bien, sinon autant ne rien faire". Tu étais capable de réécrire dix fois le même texte, passer une nuit blanche pour finalement, de rage envers toi-même, tout effacer. Et te présenter le lendemain matin, penaud, nous disant que tu n'avais pas pu remplir ta partie du travail d'équipe.

Nous n'étions pas psys. Juste des amis. Mais nous voyions bien que "ça n'allait pas", comme on dit platement. Nous voulions t'aider, mais nous ne savions pas vraiment comment nous pouvions le faire... Te provoquer, pour te faire avancer au risque de te braquer ? Essayer d'obtenir tes confidences en douceur, pour tenter de te montrer que c'est possible, de faire confiance, de SE faire confiance ?

Tu as réussi. Comme nous, au bout de cinq longues années, à obtenir ton diplôme. Comme nous, tu as ri lors de cette remise de nos diplômes, où nous étions tous sur notre 31 et fiers, devant nos parents, de brandir ce rouleau, signe d'ouverture sur la vie active, d'autonomie... Nous commencions à travailler, gagner nos premiers salaires, c'était grisant ! Bien sûr, il y avait des difficultés, ce n'était plus le temps où tous les élèves étaient embauchés avant leur sortie de l'école. Mais nous étions confiants, bien entraînés, et tout le monde aurait dégoté un poste au bout de quelques mois.

Plus beaucoup de nouvelles. Tu avais coupé les ponts, volontairement ou non, avec la plupart d'entre nous. Mais de loin en loin, nous gardions un oeil sur notre "roi des marmottes". Et puis, tout d'un coup, comme un frisson dans le dos, une crainte de l'impossible à entendre : ta mère a appelé pour donner de tes nouvelles. Ta mère ?? Pourquoi pas toi ? Parce que tu n'es plus là. Emporté par une crise cardiaque.

Ce matin, nous étions tous là, réunis autour de toi, certains perdus de vue depuis des années. Ta dernière oeuvre aura été de nous rassembler... Merci ! Et à Dieu...

vendredi 09 octobre 2009

A bout de bras...

C'était il y a onze ans. Je venais de passer mon bac, elle était déjà en études supérieures. De formation plutôt littéraire, elle s'engageait dans une voie scientifique. Courageuse, opiniâtre, elle savait qu'elle débutait une longue route, semée d'embûches, et ce d'autant plus qu'elle n'est pas française. Je l'ai aidée, du mieux que je pouvais, pour combler son retard en maths.

Elle a tout affronté. La solitude, les moqueries, la méconnaissance de la langue, les paperasseries administratives infligées aux étrangers, l'éloignement de sa famille, le découragement. Vaille que vaille, elle a persévéré, a passé ses diplômes universitaires, cherché une thèse et la structure correspondante qui voudrait bien l'accueillir. Elle n'a pas pu vivre sa foi, les orthodoxes étant encore plus minoritaires que les protestants en France ; une foi qu'elle a reçue en cachette, car interdite dans l'ancien bloc soviétique... Elle a parfois eu des mots avec son frère, installé en Angleterre, a eu quelques moments de répit, en été, lorsqu'elle pouvait rentrer quelques semaines chez elle, au bord de la Méditerranée. Elle a enchaîné les familles d'accueil, des logements parfois vétustes, enduré un train de vie toujours limité par des ressources restreintes. Elle a accompagné le passage de sa mère "de l'autre côté", à quelques jours de son anniversaire. Elle a dénoncé les abus d'un système exploitant les thésards, sans se rendre compte que sa soif de justice lui vaudrait des pressions et des chantages.

Il y a un an, elle pensait voir le bout de ses peines. Nous sommes allés en famille à Strasbourg, pour l'encourager lors de sa soutenance de thèse, brillamment réussie : elle est maintenant docteur en biochimie moléculaire.

Mais ce n'était pas terminé. Il lui fallait courir de nouveau, après un poste de travail cette fois. Reprendre son bâton de pèlerin, se faire valoir auprès des employeurs potentiels, faire jouer ses précédentes expériences, ne pas se décourager après les entretiens ratés, l'absence de suite aux candidatures, les refus...

Lorsqu'elle a enfin trouvé un poste en Angleterre, il lui a fallu s'adapter à une autre langue étrangère au quotidien, entrer dans le monde du travail, rejoindre une nouvelle équipe, tenter de ne pas avoir d'a priori sur ses relations avec ses collègues. Aujourd'hui, elle est au bout du rouleau. Elle se sent dépassée, épuisée, isolée, faible, honteuse de ne plus avoir la pêche, de confier sa peine à des amis avec qui elle voudrait au contraire être joyeuse, n'avoir que de bonnes nouvelles à annoncer !

Alors, ce soir, en déposant ma semaine au pied de la croix, je sais qui je vais Lui demander de porter...

vendredi 25 septembre 2009

Un matin sur la Terre...

Le wagon d'un train de banlieue parisienne, un peu avant 8h un matin de semaine, ce n'est pas le lieu le plus réjouissant qui soit. Étudiants aux livrées diverses, cadres en costume-cravate, jeunes mamans venant de laisser leur progéniture à la crèche, chacun est plongé dans ses pensées, sa musique, son livre... Quelques discussions ont débuté sur le quai et se poursuivent, voix isolées couvertes par le bruit de fond des roues sur les rails.

Le jour se lève, timidement. Le train est encore aérien dans cette partie du parcours, et mes yeux cherchent la distraction à l'extérieur, dans le paysage urbain et industriel, parfois abandonné à la nature, qui défile. Le ciel pâlit, passant du bleu profond de la nuit au blanc de l'aube... Déjà les nuages d'altitude rosissent, le soleil ne tardera pas à briller de sa lumière douce de fin d'été... Au sol, des bosquets en bord de Seine laissent la place à des maisons, puis à une usine...

Pendant quelques dizaines de secondes, le train change d'orientation, et c'est une vue presque irréelle qui se dégage. Au premier plan, quelques arbres, des espaces pas encore urbanisés ; au loin, teintées du bleu de l'horizon, se dégagent les tours de la Défense, chacune différente et si caractéristique, entourant l'arche. Et masquant le haut des tours, quelques nuages, comme accrochés par ce relief inhabituel dans la vaste plaine. Cette brume donne un aspect fantomatique à ce paysage particulier, et au voyageur qui se dirige vers ce centre, l'impression de voyager vers une illusion... Dans les dernières secondes, la boule rouge flamboyante du soleil levant ajoute une touche fantastique à cette vision...

Le train entre dans le tunnel, arrive bientôt en gare... Sourire, les yeux dans le vague, le cœur en louange. La journée sera belle !

jeudi 10 septembre 2009

Apaisement

Il y a des jours qui sont plus sereins que d'autres. Des jours où, la routine aidant, je me laisse porter sur le chemin du bureau que mes pieds connaissent par coeur, et où je me plonge de toute mon âme dans un moment de méditation devenu quotidien. Le trajet passe vite, je suis déjà devant mon ordinateur, et pourtant... c'est un peu comme si le temps avait ralenti, me donnant le loisir de continuer à méditer sur cette journée.

Puis, à plusieurs reprises, je ressens comme une présence, une petite voix apaisante... Je me surprends à dire quelques prières entre deux lignes de code, à griffonner les lettres d'hébreu que j'ai apprises dimanche. J'écoute Glorious, en sus de ma liste de morceaux de Taizé habituels... La journée se termine comme un clin d'oeil, j'ai plutôt bien avancé mon travail, et dans un climat de paix que je trouve rarement.

Un petit pas de plus sur un chemin qui m'ouvre les bras ? Et ce soir dans mes flux RSS, une surprise, merci Eric !

mercredi 06 mai 2009

Evangélisation express

Paris, 18h, fin d'une journée de travail ordinaire, sur le quai d'une station de RER. Je monte dans un train, cherche une place, m'assois. La journée a été longue et la fatigue me gagne, je vais m'assoupir quand j'entends crier à l'extérieur. Je relève la tête et cherche à voir d'où et de qui proviennent ces cris.

C'est un jeune homme noir qui apparait bientôt à la porte du wagon où je me trouve. Qu'a-t-il de particulier ? Baskets, jean, sweat-shirt, casquette, rien ne le différencie d'un jeune adulte quelconque, si ce n'est son discours, et le volume sonore qu'il y met. Debout au centre de la voiture, on n'entend plus que lui. En a-t-il après quelqu'un ? Cherche-t-il noise ? Non. Est-il ivre, de boisson, de colère ? Cela ne semble pas être le cas. Simplement, il crie ses convictions à qui veut bien l'entendre : "Ecoutez, Jésus est venu pour nous ! Il nous a montré comment aimer..."

Dans le wagon, les réactions - silencieuses, comme pour répondre à un extrême par l'effet opposé - ne se font pas attendre. Deux femmes qui faisaient mine de s'avancer pour occuper les strapontins jouxtant la porte se sont figées dans leur élan et restent à distance respectueuse. Les regards, d'abord curieux de voir ce qui provoquait ces décibels inattendus, se détournent, plongent dans un journal, un livre, se prennent d'un attrait soudain pour les panneaux publicitaires de la station... Les mines gênées, voire renfrognées, puis franchement agacées apparaissent sur les visages.

Mais personne ne pipe mot, et le prédicateur improvisé continue son laïus pendant plusieurs minutes : "Changez maintenant ! Vous ne savez pas quand vous allez mourir, peut-être dans dix ans, peut-être dans un mois, ou bien tout à l'heure ! Qui va te sauver ? C'est ton argent qui va te sauver après ta mort ?" J'entends des soupirs énervés, ou compatissants peut-être ? Je souris. Pour moi, les mots sonnent juste... Je me dis que cet homme a du cran, un culot que je n'ai pas, pour évangéliser ainsi. Est-ce cela, "l'évangélisation de rue" ?

Il conclut sur un "N'oublie pas : Jésus t'aime !" tonitruant, et repart sur le quai, aussi vite qu'il était entré, juste avant que la sonnerie retentisse, annonçant la fermeture des portes. Quelques voix saluent son bref prêche par "Dieu est grand", "Inch Allah". Je murmure "Amen" sans me départir de mon sourire béat. Je garderai à l'esprit cette foi simple et sans détour, cette force des humbles par laquelle Dieu nous parle... Merci à toi !

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